Analyse

Les très très riches se portent très très bien

Le seuil d’entrée dans le club du 0,01 % des revenus les plus élevés a explosé entre 2015 et 2018, révèle l’Insee, au détour d’une note. Les très très riches sont encore plus riches. Les réformes fiscales récentes y sont pour beaucoup. Une analyse de Laurent Jeanneau, extraite du magazine Alternatives Économiques.

Publié le 10 septembre 2021

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Revenus Riches

Les très très riches sont discrets. Ils n’aiment pas trop se mélanger, vivent dans des ghettos mal desservis par les transports en commun, cachent leurs sous dans les paradis fiscaux… Bref, ils sont difficiles à cerner et ça leur va très bien.

Même dans les statistiques, ils ne sont pas évidents à dénicher. Les données les concernant sont parcellaires, rarement actualisées et très peu mises en valeur. À vrai dire, c’est presque par hasard que nous sommes tombés sur ce tableau, perdu au fin fond d’une publication de l’Insee [1] .

C’est pourtant un événement : les chiffres de 2018 sur le niveau de vie du 0,01 % le plus aisé [2] viennent d’être publiés. Les dernières (et seules) données disponibles à ce jour dataient de 2015. La plupart du temps, les statistiques sur les inégalités s’arrêtent aux 10 % les plus riches. Mais au sein de ce décile doré, les différences sont énormes. Difficile donc de connaître la dynamique des inégalités si on ne sait pas quel est le niveau de vie du 1 % le plus riche, du 0,1 % et du 0,01 %.

En 2018, donc, pour faire partie du club très sélect des 0,01 % il fallait gagner au minimum 654 000 euros par an. C’est 30 fois plus que la médiane et 17 fois plus que les 10 % les plus riches. Le seuil d’entrée dans la catégorie des 0,1 % s’élevait à 210 000 euros par an et à 86 000 euros pour les 1 % les plus riches.

Les revenus des très très riches se sont envolés

Dans sa publication, l’Insee ne compare pas ces montants avec ceux de 2015. Pour le faire, il faut remonter dans les archives de l’institut et comparer ce tableau avec celui publié en 2018 qui portait sur des données de 2015. Ce sont donc des comparaisons en euros courants, c’est-à-dire que l’évolution des prix entre 2015 et 2018 n’est pas prise en compte. Mais les évolutions sont spectaculaires, d’autant plus que l’inflation n’a pas été forte ces dernières années.

Le niveau de vie médian (la moitié des Français vit avec moins et l’autre moitié avec plus) a progressé de façon modérée entre 2015 et 2018, passant de 20 500 euros annuels à 21 600 euros, soit une hausse de 1 100 euros. Les 10 % les plus riches ont vu leur niveau de vie progresser davantage, sans que ce soit non plus extraordinaire (+ 1 800 euros).

C’est pour les très riches, et surtout les très très riches que le niveau de vie s’est envolé. D’où l’intérêt d’avoir des données détaillées à ce niveau. Le niveau de vie des 1 % a augmenté de 6 350 euros en trois ans. Celui des 0,1 % de 32 000 euros, tandis qu’il a explosé pour les 0,01 % : + 192 000 euros ! Soit 13 fois le smic.

Et on ne parle que de ce qu’ils ont gagné en plus sur cette période. Leur niveau de vie minimum est passé de 462 000 euros en 2015 à 654 000 euros en 2018. Ou, dit autrement, les 0,01 % les plus riches gagnaient 34 fois le smic en 2015. Ils gagnent désormais 46 fois le salaire minimum.

Niveau de vie après impôts et prestations sociales, pour une personne seule.
Lecture : en 2018, on appartient au 0,01 % le plus riche en France si on gagne au moins 653 960 euros par an après impôts. En 2015, il fallait gagner au moins 461 800 euros pour appartenir à cette classe de revenus.

Source : Insee – © Observatoire des inégalités

Graphique Données

On peut également raisonner en ratio, et comparer ce que gagnent les différents déciles et centiles de revenus entre eux. Comme évoqué plus haut, les 0,01 % empochent 30 fois plus que la médiane. En 2015, c’était 23 fois plus. De même, les 0,01 % perçoivent 17 fois plus que les 10 % les plus riches en 2018, contre 12 fois plus en 2015. En revanche, le ratio entre les 0,1 % et les 10 % est resté stable et celui entre les 0,1 % et la médiane a très légèrement augmenté. Ce sont donc visiblement les très très riches qui ont décroché du reste de la société.

Plus de revenus du capital

Autre information importante : la part des revenus détenus par les plus riches a fortement augmenté, notamment après l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron et son premier budget. Pour mémoire, le projet de loi de finances 2018 voté à l’automne 2017 a supprimé l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et mis en place un prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital.

Malheureusement, sur cet indicateur, on ne sait pas ce qui s’est passé pour le 0,01 %. Mais les résultats restent impressionnants : la part des revenus déclarés détenue par le 0,1 % le plus aisé [les 63 000 personnes les plus riches] est ainsi passée de 1,7 % en 2004 à 2,3 % en 2018. La hausse est notamment très forte entre 2017 et 2018 (+ 0,5 point de pourcentage).

« Cette augmentation serait liée à une forte hausse des dividendes reçus par les ménages, dans un contexte de fiscalité plus incitative », précise l’Insee.

Lecture : à eux seuls, la masse des revenus du 0,1 % le plus riche représente 2,3 % de l'ensemble des revenus déclarés des ménages en France en 2018 (soit 23 fois plus que leur part dans la population).

Source : Insee – © Observatoire des inégalités

Graphique Données

Extrait de « Les très très riches se portent très très bien, merci pour eux », Laurent Jeanneau, Alternatives Économiques, 9 juillet 2021.

Photo / © Anya Berkut


[1Revenus et patrimoine des ménages. Édition 2021, coll. Insee Références, Insee, mai 2021.

[2Le 0,01 % le plus riche comprend les 6 300 personnes ayant perçu les plus hauts revenus sur chacune des années examinées. Les membres n’en sont pas forcément les mêmes en 2015 et en 2018, NDLR.

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Date de première rédaction le 10 septembre 2021.
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