Analyse

En pleine crise, la pauvreté en conditions de vie diminue selon les statistiques officielles

La pauvreté en conditions de vie concerne 13 % de la population française en 2013, contre 15 % en 2004, selon l’Insee. 5 % connaissent des privations matérielles sévères en raison de revenus insuffisants en 2013, contre 6 % en 2004, selon Eurostat. Une analyse de Valérie Schneider de l’Observatoire des inégalités.

Publié le 4 septembre 2014

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Revenus Modes de vie Pauvreté Consommation

5 % des Français indiquent être dans une situation de privation matérielle sévère en 2013, selon les données d’Eurostat [1], contre 6,1 % en 2004. La pauvreté dite en « conditions de vie » - à la différence de la pauvreté monétaire - est mesurée par un ensemble d’indicateurs concrets de privations dues à l’incapacité de couvrir les dépenses de type paiement du loyer, emprunt hypothécaire, factures d’eau/gaz/électricité, chauffage du logement, etc. (voir encadré ci-dessous). Le taux de privation matérielle « sévère » correspond à l’incapacité à couvrir les dépenses liées à au moins quatre de ces éléments.

Source : Eurostat - © Observatoire des inégalités

Graphique Données


La privation matérielle
La privation matérielle selon Eurostat désigne une situation de difficulté économique durable définie comme l’impossibilité de faire face aux dépenses suivantes : des dépenses imprévues, une semaine de vacances hors du domicile par an, un repas avec viande un jour sur deux, le chauffage adapté du logement, l’achat de biens de consommation durables tel qu’un lave-linge, un téléviseur couleur, un téléphone, une voiture ou encore des impayés (hypothèque ou loyer, factures d’électricité/d’eau/de gaz, achats à crédit ou autres emprunts).

Le taux de privation matérielle mesure la part de la population incapable de couvrir les dépenses liées à au moins trois des neuf éléments mesurés. Il est dit « sévère » quand le ménage ne peut pas faire face à quatre types de ces dépenses.

Un cran au-dessus, car il englobe davantage de dimensions que l’indicateur d’Eurostat, le taux de pauvreté dit en « conditions de vie » défini par l’Insee [2] (voir encadré ci-dessous), est resté stable depuis 2006, aux alentours de 12,7 %. Un ménage est dit « pauvre en conditions de vie » lorsqu’il cumule au moins huit difficultés parmi vingt-sept répertoriées par l’Institut, regroupées en quatre domaines : l’insuffisance de ressources, les restrictions de consommation, les retards de paiement et les difficultés liées au logement. Cet indicateur a diminué de près de deux points entre 2004 et 2013 (de 14,6 % à 12,8 %). Depuis 2008, début de la dégradation de la conjoncture économique, ce taux a stagné (de 12,9 % à 12,8 % en 2013).

Toutes les grandes dimensions du taux de pauvreté en conditions de vie ont également connu un recul entre 2004 et 2013. De 3,5 points pour les difficultés de logement à 1,2 point pour les restrictions de consommation. Seul le critère de « l’insuffisance des ressources » a stagné, passant de 14 % en 2004 à 14,7 % en 2013. Depuis le début de la crise en 2008, tous ces indicateurs se sont améliorés ou ont stagné, excepté « l’insuffisance de ressources » (+ 2 points).

Données provisoires pour 2013.

Source : Insee - © Observatoire des inégalités

Graphique Données


Le taux de pauvreté en conditions de vie
L’indicateur de pauvreté en conditions de vie, publié par l’Insee, mesure la part de ménages qui connaissent au moins huit restrictions sur vingt-sept répertoriées. On compte par exemple les ménages qui ne peuvent pas acheter régulièrement de la viande, ni partir en vacances une semaine par an, ceux qui ont des revenus insuffisants pour équilibrer leur budget ou encore ceux qui ne peuvent pas payer leur loyer.

Finalement, qu’il s’agisse de privation matérielle sévère (en baisse) ou de taux de pauvreté en conditions de vie (stable), l’accentuation de la crise ne semble pas avoir davantage pénalisé matériellement les plus pauvres. Le discours sur la situation des plus démunis doit donc être nuancé.

Mais pour partie le problème vient de l’indicateur lui-même, qui rassemble sous une même bannière des éléments très différents et dont le nombre est totalement arbitraire. Ces taux très généraux n’ont qu’une signification limitée. Le plus intéressant est d’observer le détail de chacune des privations, qui malheureusement n’est pas publié pour l’année 2013 par l’Insee, mais uniquement par Eurostat.

Les différentes dimensions de la pauvreté en conditions de vie

  • Les contraintes budgétaires

En 2013, 4,4 % des ménages estiment qu’ils ont beaucoup de difficultés à « joindre les deux bouts », selon Eurostat, contre 6,1 % en 2004. Depuis 2008, ce taux connaît une progression, passant de 2,9 % à 4,4 % en 2013. Ceci dit, il reste encore un mystère à éclaircir, qui pose une nouvelle fois la question de la valeur des données européennes : comment l’indicateur a-t-il pu être divisé par deux en une année - il est passé de 6,1 % en 2004 à 3,1 % en 2005 - 2005, n’ayant pourtant pas été particulièrement faste du point de vue des revenus ?

Source : Eurostat - © Observatoire des inégalités

Graphique Données


  • Les restrictions de consommation

On ne meurt plus de faim (ou presque) en France aujourd’hui même si, en 2013, 7,4 % des Français indiquent ne pas pouvoir manger de viande tous les deux jours pour des raisons financières, contre 6,7 % en 2004.

Ceci dit, pas moins de 27,9 % des ménages sondés par Eurostat déclarent être dans l’incapacité de partir une semaine en vacances loin de leur domicile une fois par an. C’est un peu moins qu’en 2004 (33,4 %), mais partir est loin d’être un modèle généralisé.

Source : Eurostat - © Observatoire des inégalités

Graphique Données


  • Les difficultés liées au logement

La situation du logement en France n’a rien à voir avec celle des pays pauvres : seulement 6 % des ménages vivent dans un logement qu’ils ont du mal à chauffer faute de moyens financiers, à peu près le même niveau qu’en 2004 (5,9 %). Des difficultés demeurent néanmoins pour les catégories très modestes : 12,8 % jugent leur logement humide en 2012 et 11,3 % disent connaître des problèmes de pollution, de saleté ou d’autres problèmes environnementaux. Dans ce dernier domaine, les progrès sont notables depuis 2004 où le taux était presque deux fois supérieur (20,1 %). Là encore, ces données vont à l’encontre du discours le plus commun sur la dégradation de l’environnement.

Source : Eurostat - © Observatoire des inégalités

Graphique Données


Quels enseignements ?

Comment se fait-il que l’enquête sur les conditions de vie aboutisse à des résultats aussi décalés avec le discours ambiant ? Plusieurs explications peuvent être avancées. Pour partie, c’est le discours médiatique qui est en décalage avec la réalité : en matière de pauvreté, l’exagération existe aussi (lire notre article Neuf millions de pauvres, un chiffre exagéré) pour frapper l’opinion. Ces données indiquent aussi que le modèle social français, dont on dit qu’il coûte cher, est aussi, en contrepartie, performant : il évite que des millions de personnes ne se retrouvent à la rue.

Mais il y a de moins bonnes raisons. Les questions posées - comme dans tous les sondages - sont sujettes à interprétation : « joindre les deux bouts avec difficultés » ne signifie pas la même chose pour tout le monde, et en période de crise, une partie des sondés peuvent réduire leurs exigences. Enfin et surtout, il s’agit de moyennes. Or la crise frappe d’abord certaines populations, notamment les jeunes et les plus âgés, et surtout les moins qualifiés, ce que ne montrent pas ces données, qu’il faudrait détailler par catégorie. L’Insee ne diffusant quasiment rien sur le sujet, cela reste impossible.

Pour en savoir plus :

Photo / © galam - Fotolia


[1Base de données « Revenu et conditions de vie », consultée le 8 juillet 2014.

[2« Pauvreté en conditions de vie », Insee, Développement durable - Dossiers - février 2015.

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Date de première rédaction le 4 septembre 2014.
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