Analyse

Premières estimations du taux de pauvreté des plus grandes communes de France

Roubaix, Aubervilliers et Saint-Denis de la Réunion sont les villes de France où le taux de pauvreté est le plus élevé. Il atteint 46 % à Roubaix. Pour la première fois en France, le bureau d’études Compas évalue la pauvreté au niveau local pour les 100 plus grandes villes.

Publié le 21 août 2012

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Revenus Pauvreté

Le taux moyen de pauvreté de 15 %, tel qu’il ressort de nos estimations [1] n’a pas grand sens pour les habitants au quotidien dans leur commune. Parmi les 100 plus grandes villes, les taux de pauvreté estimés vont de 7 à 46 % entre Neuilly-sur-Seine et Roubaix. De la même façon que l’on observe la pauvreté par âge, sexe, catégorie sociale ou niveau de diplôme, il faut l’observer en fonction des territoires.

Nos calculs montrent clairement que la pauvreté se concentre dans les villes les plus importantes. Les 100 plus grandes villes rassemblent un tiers des ménages pauvres, alors qu’elles ne regroupent qu’un cinquième de la population. La ville attire les plus démunis, notamment parce qu’on y trouve le plus de logements sociaux et d’emplois. Contrairement à un discours aujourd’hui répandu, les villes de plus petite taille, l’espace périurbain ou rural n’est pas celui où l’on trouve le plus de ménages pauvres, même si les deux tiers des ménages pauvres n’habitent pas dans les 100 plus grandes villes.

On voit apparaître plusieurs types de villes. Il s’agit de schémas types, chaque commune pouvant appartenir à différentes catégories.

On trouve d’abord les villes des départements d’Outre-mer, comme Saint-Denis de la Réunion (39 % de pauvres) ou Fort-de-France (34 %). Des départements aux ressources économiques très faibles et où la part des familles est plus élevée, qui demeurent très dépendants de la métropole. Entre un tiers et 45 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Il faut noter que nous utilisons pour calculer ce taux le niveau de vie médian de la France entière et non de ces départements, comme c’est généralement le cas.

On trouve ensuite des villes en difficulté du fait de leur passé industriel : comme Roubaix (46 % de ménages pauvres), Mulhouse (32 %) ou Calais (30 %). Ces villes ne figurent pas parmi les plus grandes villes, ce sont des espaces refuges pour des populations à très faible niveau de vie. Mulhouse est situé dans un bassin où le niveau de vie est plutôt riche, ce qui n’est par contre pas le cas de Calais ou de Roubaix.

Viennent ensuite les villes périphériques des grandes agglomérations, notamment autour de Paris, où l’emploi se développe peu et où la proportion de familles immigrées est élevée. On trouve dans cet ensemble des villes comme Aubervilliers (39 %), Saint-Denis (Seine-Saint-Denis, 35 % de pauvres) ou Vénissieux (32 %). Elles accueillent ceux qui n’ont plus les moyens de se loger à Paris et y travaillent. A noter : nous raisonnons en communes et non en agglomérations, notre échantillon, obligatoirement restreint, écarte un grand nombre de communes de banlieue de ce type.

Une partie des villes de grande taille connaissent des difficultés économiques mais sont aussi devenues des pôles qui attirent la main d’œuvre. On peut y trouver à la fois une pauvreté importante et un certain dynamisme économique : c’est le cas par exemple de Montpellier et Lille (27 % de pauvres) ou Marseille (26 %). D’autres villes importantes, comme Dijon (13 % de pauvres) ou Aix-en-Provence (14 %) se situent autour de la moyenne. Ce sont des villes où les ménages pauvres peuvent aussi être accueillis soit en périphérie immédiate - c’est le cas pour Dijon avec des villes de sa banlieue qui ont une offre de logements sociaux importante - ou vers une autre grande ville du département (effet notamment des relations entre Marseille et Aix). C’est le cœur des villes en bonne santé, ce qui ne signifie pas que tout aille pour le mieux : nos données masquent des écarts par quartier et, encore une fois, elles écartent les communes de petite taille de l’agglomération. Une partie des plus grandes villes de France, comme Paris (16 % de pauvres), Lyon (15 %), Nantes (17 %) ou Bordeaux (18 %) se situent autour de la moyenne nationale. Elles jouent un rôle de pôle d’attraction, mais les prix de l’immobilier ne permettent plus aux plus démunis de s’y loger hors du parc social : ils se contentent de leurs banlieues ou alors de logements de centre-ville en très mauvais état.

Certaines villes du Sud de la France connaissent une situation économique très dégradée avec un niveau de chômage élevé, une proportion de population immigrée relativement importante, comme Nîmes (29 % de pauvres), Perpignan ou Béziers (32 %) ainsi qu’Avignon (30 %).

A l’opposé, on trouve les villes riches de l’Ouest parisien : Neuilly-sur-Seine, Rueil-Malmaison, Versailles, où le taux de pauvreté se situe autour de 7 %. Les sept villes de France où le taux de pauvreté est le plus faible sont dans ce cas. On y trouve une concentration de populations aisées, de cadres supérieurs, peu de logements sociaux et des prix de l’immobilier qui ont repoussé une grande partie des plus démunis voire des couches moyennes. La richesse et les centres de décisions se concentrent dans ces villes.

Des villes de taille moyenne qui ne font pas partie de la banlieue d’une grande ville font mieux que la moyenne nationale comme Quimper (13 % de pauvres) ou Cholet (14 %). Des villes qui maintiennent un certain dynamisme économique, où la part de l’immigration reste modeste, où les niveaux de vie ne sont pas forcément très élevés mais qui comptent moins de pauvres du fait d’inégalités de revenus moins importantes.

Un travail à compléter

Cette analyse exploratoire dresse le premier portrait de la pauvreté des villes en utilisant le concept de pauvreté monétaire. Il illustre la diversité des territoires et l’importance de considérer avec précaution les moyennes, qui masquent des réalités sociales divergentes. Il permet de comprendre comment un même discours public sur la situation sociale peut être reçu de façon différente, à Nantes, Mulhouse ou Roubaix.

Ce travail demande à être complété. D’abord en observant encore plus finement la situation des communes, quartier par quartier. Les villes riches ne sont pas des îlots de richesse et n’ont pas éradiqué la pauvreté : vivre pauvre parmi les riches peut être ressenti de façon plus violente que parmi une population moins favorisée, et rendu encore plus difficile du fait des prix de l’immobilier. Les écarts entre quartiers en disent long sur la mixité de la ville. La faiblesse de la pauvreté dans certaines communes n’est parfois que le transfert des populations démunies vers des territoires extérieurs qui ont un habitat adapté [2]. Familles nombreuses, travailleurs pauvres, personnes seules… les formes même de la pauvreté varient selon les territoires et mériteraient d’être étudiées de façon plus détaillée.

Il faudrait aussi explorer des communes de plus petite taille : notre travail s’arrête environ au seuil de 50 000 habitants, descendre plus finement nous permettrait de compléter notre panorama. On y trouverait notamment des communes périphériques de grandes villes, qui viendraient nuancer les résultats obtenus, certaines communes riches étant environnées de « satellites » moins favorisés, et inversement. Au fond, la question de la bonne échelle et des frontières de l’observation sociale locale mérite en permanence d’être interrogée. Nous raisonnons dans un cadre communal, alors que la question de la pauvreté dépasse les frontières de la ville.

François Cousseau, Louis Maurin et Violaine Mazery

Cette note est reproduite du site Internet du Compas : télécharger le PDF. Pour en savoir plus, voir aussi www.lecompas.fr

La méthode utilisée
Nous utilisons le taux de pauvreté estimé à 60 % du revenu médian. Il s’agit du pourcentage de ménages qui perçoivent moins de 60 % du revenu médian national, pour lequel la moitié de la population dispose de ressources supérieures et l’autre moitié inférieures.

Les estimations du Compas sont réalisées à partir des données fiscales communiquées par l’Insee au niveau de toutes les communes, pour l’année 2009. Mais l’Insee ne fournit pas le niveau des prestations de façon aussi fine. Pour déterminer ce niveau de prestation, nous avons considéré que l’on pouvait associer aux niveaux de vie locaux l’équivalent de ce qui était perçu au niveau national. Il s’agit donc d’une approximation qui ne reflète pas les revenus réellement perçus par les ménages de chaque ville, mais qui
est plus fidèle à la réalité que de se contenter de revenus hors prestations. Les prestations varient peu au niveau local. L’écart entre les niveaux de vie réels et nos données peuvent provenir essentiellement de la composition des ménages, différente selon les villes (plus ou moins de familles, de personnes seules, de jeunes ou de plus âgés, etc.).

L’analyse des communes situées en Outre Mer est particulière. En effet, l’Insee utilise pour chacun des Dom le niveau de vie médian local pour évaluer le seuil de pauvreté, alors que nous considérons le seuil de pauvreté national, traitant ces départements comme tous les autres. Le niveau de vie médian national est supérieur au niveau de vie médian des Dom, le seuil de pauvreté que nous utilisons l’est donc aussi. En Martinique par exemple, l’écart est de 300 euros. Au final, les taux de pauvreté que nous observons dans les Dom sont très supérieurs à ceux diffusés par l’Insee.

Photo / CC By Jean Housen


[1Le chiffre de l’Insee est de 13,9 %.

[2Il serait intéressant à ce titre de faire le lien entre la part des ménages pauvres et le niveau de vie des personnes vivant dans des logements sociaux.

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Date de première rédaction le 21 août 2012.
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