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Faire réussir tous les enfants

Il est urgent de mettre plus de moyens là où se concentrent les difficultés, en rehaussant l’aide sociale à l’école d’une part, et en réorganisant, d’autre part, les pratiques pédagogiques notamment de l’éducation prioritaire. Par Jean-Paul Delahaye, auteur du rapport « Grande pauvreté et réussite scolaire ».

Publié le 15 septembre 2016

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Éducation Catégories sociales Échec scolaire


Ce texte est extrait de l’ouvrage « Que faire contre les inégalités ? 30 experts s’engagent », sous la direction de Louis Maurin et Nina Schmidt, édition de l’Observatoire des inégalités, juin 2016, 120 p., 7,50 €.
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Seuls 5 % des décrocheurs à l’école sont des enfants de cadres contre 48 % d’enfants d’ouvriers. Notre élitisme « républicain » est surtout un élitisme social. Pourquoi est-ce si difficile en France de bâtir un système éducatif qui soit organisé pour que tous les enfants réussissent et qui ne soit pas essentiellement concentré sur la fonction de sélection des meilleurs ? Le problème n’est pas seulement social, il est aussi pédagogique. Pour une école plus juste, il faut aider, par des actions sociales et de santé, les élèves pauvres à entrer plus sereinement dans les apprentissages et refonder l’organisation pédagogique de l’école pour un système éducatif plus inclusif.

Des actions sociales d’envergure

En France, 1,2 million d’enfants et d’adolescents vivent au sein de familles qui connaissent la grande pauvreté. Actuellement, l’aide sociale n’est pas à la hauteur. Prenons l’exemple des bourses de collège dont le montant maximum s’élève aujourd’hui à 360 euros par an, soit 2 euros par jour de classe, même pas le prix d’un repas à la cantine scolaire. Outre le relèvement urgent du montant des bourses, qui permettrait par exemple de faire en sorte que la restauration scolaire devienne un droit sans aucune condition restrictive, c’est aussi le taux anormal de non-recours aux bourses qu’il faut réduire.

Quand la bourse ne suffit pas, il y a la possibilité de recourir aux fonds sociaux, crédits délégués aux établissements du second degré. Mais ces crédits ont été divisés par 2,3 de 2001 (73 millions d’euros) à 2012 (32 millions d’euros). La France est un curieux pays où l’on peut prendre dans la poche des élèves pauvres pendant dix ans sans susciter le moindre mouvement de solidarité à leur égard. Mais que l’on touche à une seule ligne du programme d’histoire de terminale S, où sont scolarisés essentiellement les enfants des milieux favorisés, et les journaux télévisés de 20h s’affolent.

Changer la pédagogie

L’objectif d’acquisition par tous les élèves du socle commun de connaissances, de compétences et de culture à l’issue de la scolarité obligatoire réclame le renforcement de la priorité donnée à l’école primaire, et la poursuite de l‘effort en cours dans l’éducation prioritaire. Le travail personnel demandé aux élèves est un élément essentiel dans l’acquisition des connaissances et des compétences. Il est aussi une source majeure d’inégalités. L’accompagnement éducatif mis en place en 2008 permet de garantir un service d’aide aux devoirs gratuit pour ceux qui ne peuvent se payer les services d’un étudiant ou des cours particuliers d’entreprises privées. Or, en raison des restrictions budgétaires, les crédits destinés à l’accompagnement éducatif sont en baisse : 303 millions d’euros en 2008, 270 millions d’euros en 2014. En comparaison, observons que l’accompagnement éducatif des classes préparatoires aux grandes écoles (heures de colle) non seulement n’est pas touché par les restrictions mais est en augmentation constante. En 2013, 70,4 millions d’euros y ont été consacrés pour 83 520 étudiants. Finalement, les assistés ne sont pas toujours ceux auxquels on pense habituellement...

Il faut travailler également, et ce n’est pas de la seule responsabilité de l’école loin de là, à davantage de mixité sociale et scolaire sur le territoire. Comme l’indique l’OCDE dans un récent rapport du 10 février 2016 [1], « les systèmes qui répartissent plus équitablement dans les établissements d’enseignement à la fois les ressources scolaires et les élèves sont avantageux pour les élèves peu performants, sans pour autant porter préjudice aux élèves ayant un meilleur niveau. ».

Certaines approches pédagogiques sont plus efficaces que d’autres pour transmettre des connaissances et des compétences à tous les élèves. Notre école connaît d’ores et déjà, grâce à l’initiative de ses personnels et aux acquis de la recherche, les principales pistes pédagogiques à emprunter pour permettre à tous les élèves de rallier les mêmes destinations, plutôt que de faire en sorte que les élèves mal préparés pour les chemins traditionnels changent de destinations. Ces pistes sont les suivantes : une organisation de la scolarité en véritables cycles et une attention portée aux transitions entre les niveaux d’enseignement ; des pratiques pédagogiques fondées sur la coopération, l’explicitation, la compréhension, au service des apprentissages et non de la performance ; une évaluation qui encourage et qui donne des repères communs ; de nouveaux rythmes scolaires pour un meilleur temps scolaire ; une utilisation pédagogique raisonnée de l’outil numérique ; une éducation artistique et scientifique pour construire du commun culturel ; des décisions d’orientation indépendantes des origines sociales ; des marges de manœuvre locales et des encouragements à la prise d’initiatives des équipes pédagogiques.

La priorité est d’affecter des enseignants bien formés et expérimentés dans les établissements difficiles. Cela ne pourra se faire sans moyens et sans une politique de ressources humaines plus qualitative. Nous sommes loin du compte. Les enseignants présents dans les établissements de l’éducation prioritaire sont plus jeunes et plus fréquemment non titulaires. Ce constat relativise, de fait, les efforts budgétaires en faveur des territoires en difficulté. Les nouveaux moyens consacrés à la refondation de l’éducation prioritaire permettent, enfin, de reconnaître la spécificité du travail en éducation prioritaire en accordant aux enseignants une revalorisation des indemnités et un temps de service devant les élèves moindre pour faciliter le travail en équipe, la réalisation de projets, le suivi des élèves et les relations avec les parents.

Pour une alliance éducative

Par ailleurs, un indispensable progrès est attendu dans la formation professionnelle initiale et continue des personnels mise en œuvre dans les Écoles supérieures du professorat et de l’éducation (Espe) : les enseignants français sont en effet les enseignants de l’OCDE qui s’estiment les moins formés en pédagogie. Enfin, la réduction des écarts de réussite ne sera pas effective sans une alliance éducative conjuguant les compétences de l’école, des autres services de l’État, des parents, des collectivités locales et des associations.

Il est de l’intérêt de tous d’introduire plus de justice au sein de l’école en dépassant les actions philanthropiques et compassionnelles à l’égard des plus démunis, actions toujours utiles bien sûr pour le petit nombre qui en bénéficie, mais qui ne résolvent rien pour le plus grand nombre. Mais dans une période de crise économique et sociale où la lutte pour les places est plus âpre, la fraternité nécessaire pour la réussite scolaire de tous se heurte aux intérêts particuliers qui n’ont pas envie que l’école se transforme. Les dysfonctionnements de notre école qui ne parvient pas à réduire les inégalités ne nuisent pas à tout le monde. Faire réussir tous les enfants est pourtant une question essentielle pour notre démocratie car nous ne pourrons indéfiniment prôner le « vivre ensemble » sur le mode incantatoire et dans le même temps abandonner sur le bord du chemin une partie des citoyens. Nous ne répondrons pas à ce défi sans un effort collectif de solidarité.

Jean-Paul Delahaye, inspecteur général de l’éducation nationale honoraire.
Auteur du rapport « Grande pauvreté et réussite scolaire, le choix de la solidarité pour la réussite de tous », remis à la ministre de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, mai 2015.

Ce texte est un extrait de l’ouvrage « Que faire contre les inégalités ? 30 experts s’engagent », sous la direction de Louis Maurin et Nina Schmidt, édition de l’Observatoire des inégalités, juin 2016, 120 p., 7,50 €.

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Date de première rédaction le 15 septembre 2016.
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