Analyse

Davantage de logements sociaux, mais moins accessibles

Entre 2003 et 2013, le parc social s’est enrichi de près de 500 000 logements en France. Mais les nouveaux logements proposés sont moins accessibles pour les ménages à faibles ressources car les plafonds de revenus pour y accéder et les loyers pratiqués sont plus élevés. Par Noam Leandri de l’Observatoire des inégalités.

Publié le 4 novembre 2014

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Modes de vie Logement

Au 1er janvier 2013, la France comptait 4,6 millions de logements sociaux, soit 15 % des résidences principales. Depuis 2003, le parc social s’est enrichi de 482 000 logements. Après avoir atteint un niveau record depuis 2000 de 130 372 habitations supplémentaires financées dans le parc social en 2010, du jamais vu depuis 30 ans, la situation a connu une baisse en 2011 (115 889 au total), mais surtout en 2012 avec 102 728 logements sociaux financés, pour remonter à 117 065 en 2013, selon le ministère du logement. L’objectif du gouvernement de construire 150 000 logements sociaux par an paraît encore lointain, sans compter que ces nouveaux logements sont souvent destinés à des ménages plus aisés.

L’évolution du nombre de logements sociaux résulte de deux phénomènes. D’un côté, les constructions et les transformations de logements anciens, de l’autre, les réhabilitations et les destructions de logements dégradés. La construction de logements sociaux a été très soutenue depuis 2003, notamment grâce au plan de renouvellement urbain (voir encadré). En dix ans, de 2003 à 2013, 482 000 nouveaux logements sociaux ont été créés. Dans le même temps, ce programme a procédé à la destruction de grands ensembles souvent dégradés pour éviter la concentration de populations précaires. Ainsi, plus de 146 000 logements sociaux ont été détruits de 2003 à 2012, sans compter les autres sorties du parc social (ventes, changements d’usage). Malgré l’effort important de construction, le nombre de logements sociaux disponibles n’augmente pas aussi vite que les besoins et près de 2 % restent inoccupés parce qu’ils sont mal situés, trop chers ou à réhabiliter, selon le ministère de l’écologie et du développement durable.

* En fonction des mises en location et des sorties. ** Le changement de source en 2010 (de l'Enquête sur le parc locatif social (EPLS) au Répertoire du parc locatif des bailleurs sociaux (RPLS), empêche des comparaisons entre 2009 et 2010, le périmètre de certains indicateurs ayant changé (ex : les ventes de logements sociaux ne concernent plus uniquement celles à des particuliers).

Source : Fondation Abbé Pierre - Rapport annuel sur le mal logement 2014

Graphique Données


Évolution du parc de logements sociaux
Unité : en milliers de logements
Total du parc au 1er janvier
Croissance annuelle *
Mises en location
Sorties



dont démolitionsdont ventes à des particuliersdont changements d usage
20034 11334,948,9149,73,40,9
20044 15228,544,51611,13,31,6
20054 1812946,417,413,13,60,7
20064 19933,850,516,712,92,51,3
20074 2443149,118,114,42,31,3
20084 32936,157,321,216,52,32,4
20094 37346,569,122,615,72,54,4
2010 **4 42570,895,124,312,35,30,1
20114 45643,983,339,421,76,50,3
20124 52445,084,539,519,35,50,6
20134 595------
* En fonction des mises en location et des sorties. ** Le changement de source en 2010 (de l'Enquête sur le parc locatif social (EPLS) au Répertoire du parc locatif des bailleurs sociaux (RPLS), empêche des comparaisons entre 2009 et 2010, le périmètre de certains indicateurs ayant changé (ex : les ventes de logements sociaux ne concernent plus uniquement celles à des particuliers).
Source : Fondation Abbé Pierre - Rapport annuel sur le mal logement 2014, France métropolitaine


Le programme national de rénovation urbaine (PNRU)
La loi d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine d’août 2003 prévoit un programme de reconstruction urbaine qui s’étalera jusqu’en 2015, soit la construction de 200 000 logements locatifs sociaux, 200 000 réhabilitations ou reconstructions lourdes et plus de 150 000 démolitions de logements vétustes. L’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), créée à cette occasion, subventionne en priorité les opérations dans les quartiers classés en zone urbaine sensible (Zus). En contrepartie, le programme finance la construction d’immeubles plus petits et favorisant la mixité sociale.

Davantage de logements sociaux, mais plus chers

Les logements sociaux sont principalement financés par des prêts aidés par l’État aux bailleurs sociaux, grâce à l’épargne collectée par les livrets A [1]. De 64 259 logements financés en 2003, ces aides ont été accordées à plus de 130 372 en 2010, et 117 065 en 2013.

Toutefois, selon le type de prêt accordé, les conditions de location imposées par l’Etat sont plus ou moins favorables aux ménages modestes. D’un bout à l’autre de l’échelle des prix, le prêt locatif aidé d’intégration (PLAI) finance des logements très sociaux, tandis que le prêt locatif intermédiaire (PLI) vise avant tout à construire dans des zones où le marché immobilier est tendu, mais les loyers sont plus élevés. Le PLAI reste très minoritaire même s’il a fortement progressé, passant de 5 034 logements financés en 2003 à près de 30 000 en 2013. Le nombre de logements financés en PLI est mal mesuré car les prêts sont octroyés directement par les banques sans accord préalable de l’État. Entre ces deux extrêmes, avec des loyers intermédiaires, on trouve le prêt locatif à usage social (PLUS) et le prêt locatif social (PLS) qui représentent la très large majorité des logements sociaux financés ces dernières années.

Nombre de logements sociaux financés en métropole
Unité : milliers
PLUS
PLS
PLAI
PLI
Total
200032 9864 0815 0504 00046 117
200142 2248 6485 427-56 299
200239 26811 8345 1882 80056 299
200343 76612 6595 0342 80064 259
200446 06920 5986 0372 80075 504
200545 74423 7087 5381 25078 240
200651 10237 5937 6721 46097 827
200746 57932 89613 0141 43093 919
200849 09933 25317 00026299 614
200957 85440 35421 6341 589121 431
201059 55445 01625 802-130 372
201151 54240 86423 483-115 889
201248 72030 59923 409-102 728
201354 78832 54329 734-117 065

Source : Comité de suivi de la mise en œuvre du droit au logement opposable, fondation Abbé Pierre


Source : Comité de suivi de la mise en œuvre du droit au logement opposable, fondation Abbé Pierre

Graphique Données

Les plafonds de ressources pour bénéficier de ces logements (tous types confondus) sont suffisamment élevés pour que 64 % au moins des ménages puissent y être éligibles, selon l’Union sociale pour l’habitat. Par exemple, un couple avec deux enfants vivant en province doit gagner moins de 4 203 euros par mois (près de quatre fois le Smic) en province pour accéder aux logements sociaux de type PLS, alors que ce plafond s’élève à 1 788 euros pour les logements PLAI réservés aux plus modestes.

Plafonds de ressources mensuelles selon la composition du foyer, le type de logement et le territoire
Unité : euros
Paris



Province


CélibataireCoupleCouple avec deux enfantsCélibataireCoupleCouple avec deux enfants
Logement très social (PLAI)1 0551 7202 4689171 3361 788
Logement social (PLUS)1 9182 8674 4871 6682 2273 233
Logement peu social (PLS)2 4943 7275 8332 1682 8954 203
Logement à peine social (PLI)3 4535 1607 4302 2353 1184 527

Source : ministère du développement durable - 2014

Les bailleurs sociaux sont principalement des offices HLM publics, mais aussi des entreprises privées. La logique de profitabilité et l’augmentation du coût de la construction ont conduit les propriétaires de logements sociaux à pratiquer des loyers élevés, parfois prohibitifs. En vingt deux ans, l’augmentation des loyers de ces logements sociaux dépasse celle des autres logements. Entre 1989 et 2011, l’indice des loyers du parc social a progressé de 84 % selon l’Insee, soit six points de plus que l’augmentation moyenne des loyers des logements du secteur privé. Cette détérioration de l’accessibilité avait d’ailleurs été dénoncée par le comité de suivi du droit au logement (voir son rapport 2011) qui préconise de distinguer dans les statistiques du logement social ceux qui sont réellement abordables, des autres.

Indice base 100 en 1989.

Source : Insee - enquête trimestrielle loyers et charges

Graphique Données

Peut-on loger les plus modestes et maintenir la mixité sociale au sein du parc de logement social ?

Malgré la hausse des loyers dans le parc social, ces logements demeurent néanmoins moins onéreux que ceux du secteur privé. D’ailleurs, la part des ménages modestes logés dans le parc social augmente depuis 30 ans (de 17 % en 1973 à 39,8 % en 2006), tandis que la part des ménages les plus favorisés est devenue minoritaire : la part du quart le plus riche a diminué de 24 à 7,7 %. En 2006, les trois quarts des locataires du parc social appartenaient aux 50 % les plus démunis, contre 46 % en 1973.

Faute de logements ou du fait de logements inadaptés, la situation devient inextricable dans certains territoires. D’un côté, les bailleurs sociaux ne disposent pas d’assez de places pour loger les plus démunis, notamment en Ile-de-France et des dizaines de milliers de personnes vivent dans des situations très difficiles, notamment les jeunes. De l’autre, pour éviter de cristalliser les difficultés sociales, il leur faut éviter de concentrer sur un même territoire les populations les plus pauvres et garantir un minimum de mixité sociale de leur parc.

Une partie du déficit de logements sociaux est liée à l’absence de politique dans ce domaine de certaines communes. La loi « Solidarité pour le renouvellement urbain » (SRU), adoptée en 2000, fixait un objectif de 20 % de logements sociaux dans toutes les grandes villes, porté à 25 % en 2013 pour les plus grandes agglomérations [2]. En 2012, plus de 72 % des 980 communes soumises à cette obligation étaient en infraction, selon l’étude d’impact de la loi Duflot. Il s’agit le plus souvent de villes cossues dans la petite couronne de grandes agglomérations, comme Saint-Maur (94) ou Neuilly-sur-Seine (92) en région parisienne (voir notre article).

Au-delà, la question de la mixité se pose à l’échelle des villes elles-mêmes. Souvent, les logements sociaux se concentrent dans certains quartiers. C’est pourquoi le Conseil d’État avait recommandé en 2009 (lire le rapport) d’appliquer le quota de 20 % de logements sociaux pour toutes les nouvelles constructions et non plus au niveau global dans une ville. Car une ville peut très bien respecter l’objectif avec un seul quartier de logements sociaux relégué à sa périphérie.

Voir aussi : « Le logement social en Europe : la fin d’une époque ? », extrait de Métropolitiques (avril 2012).

Photo / © Lotharingia - Fotolia.com


[1Depuis 2009, toutes les banques peuvent proposer des livrets A. Les montants déposés sur ces livrets sont centralisés jusqu’à 130 % dans un fonds géré par la Caisse des dépôts qui sert ensuite à financer la construction et la réhabilitation de logements sociaux.

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Date de première rédaction le 4 novembre 2014.
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