Analyse

Le logement générateur de nouvelles inégalités

L’élévation continue du coût du logement pénalise les ménages les plus modestes. Il est marqueur des inégalités sociales et en accroit d’autres. Une analyse de la Fondation Abbé Pierre. Extrait de son rapport 2012 sur le mal logement.

Publié le 31 janvier 2012

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Modes de vie Logement

Le logement, qui reflète évidemment les inégalités sociales (par sa localisation comme par sa valeur), est aussi à l’origine d’un accroissement des inégalités quand il ne contribue pas à en créer de nouvelles. Il en est ainsi lorsque l’élévation continue du coût du logement pénalise les ménages les plus modestes ne disposant que de faibles capacités d’arbitrage entre des dépenses toutes nécessaires. Il en est ainsi quand on examine les destins résidentiels des ménages qui ne sont pas tous polarisés par l’accession à la propriété — que l’on érige en modèle — et y conduiraient-ils, il serait profondément injuste de fonder la sécurité face à l’avenir sur la détention d’un patrimoine dont la valeur est très inégalement répartie entre les catégories sociales.

Depuis plus de dix ans, la crise du logement fragilise une société déjà déstabilisée

L’analyse de la répartition des ménages suivant leur niveau de revenu montre que l’accroissement des inégalités en France est amplifié par l’accroissement rapide des dépenses de logement. Le coût du logement pénalise avant tout les ménages les plus modestes car il réduit en proportion la part du revenu arbitrable, c’est-à-dire des ressources dont on dispose une fois que l’on a fait face aux dépenses contraintes et incontournables. Ces dernières années, l’augmentation de la dépense de logement des ménages a été d’autant plus forte que l’on dispose de revenus faibles et le décalage avec la situation des ménages les plus riches est considérable. Entre 1992 et 2006, le poids du coût du logement s’est considérablement alourdi pour les ménages qui se trouvent parmi les 20 % les plus modestes, alors qu’il est resté relativement stable pour les ménages les plus riches (ceux qui se trouvent parmi les 20 % les plus riches) [1].

La progression du coût du logement a pour conséquence de creuser les inégalités sociales au sein de la société française et de renforcer l’inégale répartition des revenus. Les locataires du secteur privé sont, pour les plus modestes d’entre eux, ceux pour lesquels l’accroissement de l’effort financier a été le plus brutal. De même que pour les accédants à la propriété modestes, parmi lesquels seuls ceux qui disposent déjà d’un patrimoine peuvent sans difficulté acheter un logement au prix atteint par les marchés, sauf à s’éloigner en lointaine périphérie des villes ou en zone rurale.

La progression du coût du logement a pour conséquence de pénaliser les nouvelles générations. C’est ainsi que les jeunes de moins de 25 ans paient le plus lourd tribut puisque, ce sont eux qui consacrent la part la plus importante de leurs revenus pour se loger et c’est pour eux qu’elle a le plus augmenté au cours des vingt dernières années (+ 9,7 % pour les moins de 25 ans, + 5,9 % pour les 25-29 ans alors qu’il est resté stable pour les plus de 45 ans).

Le logement révèle aussi l’inégalité des destins résidentiels. Si l’ampleur de la mobilité n’est pas indexée sur le niveau de revenu des ménages (l’âge est un facteur plus déterminant), celui-ci oriente fortement leurs trajectoires résidentielles. Le statut d’occupation est ainsi devenu plus sensible au niveau de vie qu’il ne l’était en 1984. Entre 2003 et 2006, parmi les ménages les plus riches (cinquième quintile) ayant changé de logement, 6 sur 10 sont devenus propriétaires de leur logement, alors que cette perspective a concerné moins d’un ménage sur dix parmi les 20 % les plus pauvres. Ces derniers sont devenus locataires plus de 7 fois sur 10, un peu plus souvent dans le secteur privé (44 %) que dans le parc social (30 %). Cette différenciation des trajectoires s’est régulièrement approfondie au cours des deux dernières décennies. Les ménages les plus riches qui accédaient à la propriété pour 38 % d’entre eux quand ils changeaient de logement entre 1988 et 1992, y ont accédé pour 60 % d’entre eux entre 2003 et 2006. Pour les plus modestes, c’est toujours le parc locatif qui demeure la principale destination ; l’accès à la propriété s’est réduit et ce sont eux que l’on retrouve le plus fréquemment sous d’autres statuts que ceux de locataire ou de propriétaire (sous-locataire, locataire de meublés, logé gratuitement…).

Il faut également souligner que l’accès à la propriété et la constitution de patrimoine constituent désormais une nouvelle source d’inégalités. En effet, c’est le patrimoine qui explique en majeure partie les écarts de richesse : celui-ci est d’autant plus important que le niveau de revenu est élevé et il participe à l’accroissement de l’écart entre les plus riches et les plus pauvres. Si le souhait d’accéder à la propriété est largement partagé, le processus se révèle à la fois hétérogène et profondément inégalitaire puisque la propriété ne se diffuse pas au même rythme dans toutes les catégories sociales et n’a pas le même poids selon les tranches d’âge. L’accès à la propriété — et par là aux sécurités dont elle serait porteuse — est de plus en plus réservé aux ménages les plus aisés, alors que les ménages modestes sont de plus en plus locataires. La part des ménages modestes parmi les accédants récents n’a en effet cessé de décroître au cours des quinze dernières années, reflétant l’augmentation du « droit d’entrée » pour obtenir le statut prisé de propriétaire. Il est nécessaire de disposer d’un apport initial de plus en plus conséquent et les candidats à l’accession doivent s’endetter de plus en plus lourdement sur des périodes de plus en plus longues, ce qui n’est guère cohérent avec les perspectives incertaines qui sont les leurs tant d’un point de vue économique que familial.

Parmi les accédants, la valeur des biens acquis révèle également de profondes disparités. En 2010, les 10 % des ménages les plus riches détiennent près de la moitié du patrimoine national, alors que la moitié de la population la moins riche n’en possède que 7 %. Les 10 % des ménages les moins aisés détiennent moins de 2 700 euros de patrimoine brut (avant remboursement des emprunts). À l’autre bout de l’échelle, les 10 % les mieux lotis disposent d’un ensemble de biens supérieur à 550 000 euros. Soit un rapport de 1 à… 205, qui a crû, selon l’Insee de près d’un tiers depuis 2004 [2]. L’écart serait encore plus important si l’on se référait aux 3 % les plus riches ! C’est dire l’ampleur des inégalités due à la détention du patrimoine et à sa répartition très inégale, qui a été accentuée par l’envolée des prix de l’immobilier, mais aussi par l’évolution de la fiscalité sur le patrimoine pour les plus aisés (bouclier fiscal, réformes de l’impôt de solidarité sur la fortune, abaissement des droits de mutation et de succession, etc.) qui a contribué à concentrer la richesse nationale entre un faible nombre de personnes. De ce point de vue, l’héritage est un facteur majeur d’inégalités sociales puisque la moitié des ménages qui ont bénéficié d’une succession ou d’une donation « possèdent plus de 241 300 euros de patrimoine, contre 63 100 euros pour la moitié de ceux qui n’en ont pas bénéficié ».

Photo / © Lotharingia - Fotolia.com


[1La moitié des ménages dispose ainsi de moins de 1 467 € par mois (en 2009) pour vivre et faire face à l’ensemble de leurs dépenses, alors que cette somme correspond à ce qui reste aux plus riches (1 474 €) après avoir fait face à leurs dépenses contraintes et incontournables.

[2Un écart bien plus important que celui relatif au « revenu disponible » (rémunérations plus prestations sociales, moins les impôts), qui était en 2009, de 4,2 entre les 10 % les plus modestes et les 10 % les plus riches.

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Date de première rédaction le 31 janvier 2012.
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