Point de vue

Pour combattre le populisme, il faut un impôt universel et progressif

Le clientélisme fiscal, de droite comme de gauche, sape la légitimité de l’impôt. Pour combattre la montée du populisme, il faut un effort commun qui tienne compte des capacités de chacun à payer. Le point de vue de Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités, extrait du site d’Alternatives Économiques.

Publié le 7 mai 2018

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Revenus Niveaux de vie

Un énorme cadeau pour les très riches (suppression de l’ISF, réforme de l’imposition des revenus du patrimoine), une baisse de cotisations sociales mais une hausse de la CSG compensée par une suppression partielle de la taxe d’habitation... Voilà brièvement résumée la politique fiscale de la nouvelle majorité au bout d’un an d’exercice du pouvoir. Comme ce fut le cas pour ses prédécesseurs, cette politique entraîne une bronca de ceux qui sont mis à contribution, ayant le sentiment d’être floués. En pratiquant ainsi, la majorité d’aujourd’hui comme celle hier, va droit dans le mur fiscal. Avec quelles conséquences ? Si l’on veut éviter l’arrivée au pouvoir du populisme qui se nourrit du sentiment d’injustice, il est indispensable de promouvoir un effort universel, partagé entre tous.

La légitimité d’une politique fiscale réside dans un principe simple de justice décrit il y a plus de deux siècles, dans l’article 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 : l’impôt doit être réparti en fonction des « facultés » de chacun. Nous acceptons de mettre au pot commun – n’oublions pas que chaque année, pour 100 euros de richesse produite, la collectivité en prélève environ 50 – si et seulement si nous avons le sentiment que le voisin en fait de même. Peu importe qu’il mette moins, ce qui compte c’est qu’il participe. Les Français sont très solidaires mais ont, aussi, un sens important de la justice et rien n’est pire, politiquement parlant, que d’avoir l’impression de se faire « avoir », de payer pour les autres, surtout quand ils sont très aisés...

L’effort actuel demandé aux retraités les plus favorisés est légitime. Même l’effort de cinq euros mensuels demandé aux plus pauvres - comme c’est le cas avec la baisse des allocations logement - pourrait être compris, si tout le pays était mis à contribution. Mais ces politiques sont complètement incompréhensibles quand, en même temps les grandes fortunes ont reçu cinq milliards d’euros de cadeau fiscal dans la précipitation, dès l’automne 2017. Rappelons que la seule réforme du prélèvement forfaitaire unique fait gagner 100 000 euros à un contribuable dont les revenus annuels se montent à 400 000 euros, selon nos estimations [1]. Personne ne croit sérieusement au « ruissellement » : ces 100 000 euros vont aller grossir l’épargne des intéressés, en France ou ailleurs, et rien d’autre, tandis qu’une redistribution aux plus démunis a un impact positif immédiat sur la consommation, et donc, partiellement, sur l’activité économique. Au bout du compte, la complexité du mécano fiscal [2] d’Emmanuel Macron a fait exploser la légitimité de son programme fiscal qui comporte, en même temps, une dose de justice et d’injustice.

L’incapacité des majorités à tirer les leçons de l’histoire fiscale est déroutante. Nicolas Sarkozy avait ruiné son crédit dès son arrivée en cédant sept milliards aux plus favorisés [3] alors qu’il avait mené campagne avec des accents parfois ouvriéristes. François Hollande en avait fait autant en sens inverse en ponctionnant les super-riches, comme nous l’avions d’ailleurs annoncé avant même qu’il prenne le pouvoir [4]. La politique d’Emmanuel Macron est très proche de celle de Nicolas Sarkozy, avec une louche de fiscalité sociale pour que ses ralliés de gauche ne perdent pas trop la face. Il n’a pas davantage compris que la politique fiscale constitue un ensemble et que la contribution commune de tous les contribuables constitue la source de sa légitimité. Pour partie bien sûr ces déroutes politiques sont liées à des formes plus ou moins directes de clientélisme politique : après une élection, on sert ceux qui vous ont financé.

Ses opposants auraient tort de se réjouir des déboires fiscaux de la majorité actuelle. Ce type de politique, aujourd’hui comme hier, ne fait que délégitimer l’impôt dans son ensemble et alimenter le populisme. La France est endettée. Pour se moderniser, elle doit trouver les moyens de répondre à des besoins collectifs énormes, qui vont des maisons de retraite au logement en passant par l’éducation, la santé ou l’environnement. Elle peut réduire certaines dépenses collectives inutiles, mais ces économies ne seront jamais à la hauteur de l’enjeu et elles seront inacceptables si l’on ne fait pas appel à un impôt plus juste. La Nation tout entière doit se retrousser les manches. Associer toute la population dans une contribution universelle est la seule façon de légitimer l’effort nécessaire et la redistribution vers les catégories les moins favorisées, qui elles aussi auront mis au pot commun. La question de fond n’est pas celle de la richesse mais celle des moyens : il faut faire payer tous ceux qui le peuvent.

Comment faire ?

On peut discuter dans le vide longtemps si l’on ne détermine pas la politique à suivre. Il faut tout d’abord définir le seuil à partir duquel doit commencer l’effort fiscal. Aucune norme objective ne peut exister, mais le seuil de pauvreté (1 000 euros par mois pour un adulte) peut être une base de départ. À ce niveau, l’effort resterait symbolique.

Pour déterminer le type de prélèvement, il faut comprendre qu’une même somme ne constitue pas le même effort pour des contribuables selon leur niveau de vie. 10 euros en moins par mois représente un sacrifice pour un allocataire de minima sociaux, c’est invisible pour un cadre supérieur. Les économistes disent que « l’utilité marginale » du revenu décroît en fonction de celui-ci : l’utilité que vous retirez de l’euro supplémentaire gagné diminue. « Il n’est pas très déraisonnable que les riches contribuent aux dépenses de l’État non seulement à proportion de leur revenu, mais encore de quelque chose au-delà de cette proportion », écrivait l’économiste libéral Adam Smith au XVIIIe siècle.

C’est pour la raison décrite par Smith que l’impôt sur le revenu est dit « progressif » : le taux de prélèvement n’est pas fixe (comme c’est le cas pour les cotisations sociales par exemple), il « progresse » avec le niveau de vie et c’est ce qui est le plus juste. Le basculement de l’imposition progressive des revenus du patrimoine vers l’impôt proportionnel avec la mise en place du prélèvement forfaitaire de 30 % va en sens inverse du sens de la justice fiscale décrite par Adam Smith. Il élève le niveau de vie d’une population qui n’en a nul besoin et qui se contentera de placer son argent sur les marchés financiers internationaux. Pour une efficacité économique nulle au final.

Une contribution plus juste est une contribution à la fois étendue et progressive. Il faut pour cela fusionner complètement l’impôt sur le revenu et la contribution sociale généralisée, en lui donnant davantage de progressivité. L’une des possibilités serait un abattement fixe de CSG, comme l’ont envisagé les économistes Pierre Concialdi et Jean-Marie Monnier [5]. Au-delà, il deviendra un jour nécessaire d’en faire un seul et même impôt sur tous les revenus et d’avoir un débat approfondi sur le degré de progressivité de cet impôt. Une progressivité à taux un peu plus faible sur une fraction croissante des revenus pourrait être préférable à une progressivité en apparence supérieure, mais portant sur une fraction très réduite. Rappelons que la CSG rapporte désormais beaucoup plus (100 milliards par an) que l’impôt sur le revenu (70 milliards).

L’orientation des prélèvements en direction de certaines catégories de population, qu’elles soient riches, pauvres, âgées ou jeunes ruine les fondements de l’impôt et au-delà la cohésion de notre société. Seule une « opération vérité », qui appellerait les citoyens à un effort commun, est capable tout à la fois de répondre aux besoins collectifs des sociétés modernes et d’assurer l’avenir face au populisme qui gagne du terrain partout en Europe. Il y a urgence. Encore faudrait-il que la majorité en marche le comprenne bien avant notre prochaine grande échéance électorale.

Louis Maurin est directeur de l’Observatoire des inégalités. Il est l’auteur de l’ouvrage à paraître en juin 2018 Comprendre les inégalités, édité par l’Observatoire des inégalités.

Extrait de la chronique « Impôts : pourquoi Emmanuel Macron fait fausse route », parue le 19 avril 2018 sur le site d’Alternatives Économiques.

Photo / © Fotolia, Nancy


[2La proposition récente d’augmenter les impôts en supprimant un jour de congés pour financer la dépendance des personnes âgées ajoute à l’incompréhension, alors qu’en même temps on taxe davantage les plus âgés.

[3Voir notre article « Prendre aux pauvres, donner aux riches », 20 décembre 2007.

[4Voir notre article « Faire payer les riches : un consensus démagogique », 20 avril 2012.

[5Voir « Scénarios de réforme de la CSG », Revue française de Finances publiques, 2002, pp.113-138.

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Date de première rédaction le 7 mai 2018.
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