Point de vue

Les familles face aux inégalités à la cantine

On peut débattre de l’intérêt de la gratuité des cantines scolaires. Mais il ne faut pas perdre de vue les inégalités qui peuvent découler de pratiques différenciées suivant les communes. Le point de vue de Pascale Delhaye, membre de l’Observatoire des inégalités.

Publié le 27 janvier 2007

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Éducation Modes de vie

Les maires de Drancy et du Bourget viennent d’instaurer la gratuité de la cantine pour tous les écoliers des classes primaires de leurs villes. Une mesure qui coûtera 1,1 millions d’euros par an, mais qui est défendue par de solides arguments de salubrité publique et d’égalité : offrir à tous les enfants la possibilité d’un repas complet et équilibré le midi. Du fait de la décentralisation, la restauration scolaire en primaire, comme la gestion des locaux et du périscolaire, relève de la compétence des municipalités depuis 1984.

Cette mesure a le mérite de s’inscrire dans la continuité de la gratuité de l’école, ainsi que dans l’esprit des allocations familiales, revendiquant la participation solidaire de l’ensemble de la communauté à l’éducation des enfants. On peut cependant débattre du bien-fondé d’une gratuité complète d’un service coûteux pour les collectivités ou des risques de dévalorisation du service qui peuvent en découler.

Que cette mesure inédite bénéficie d’une couverture médiatique importante est logique compte-tenu de l’importance de la question pour les familles. Cependant, ce dont on parle moins, c’est de la profonde inégalité qui règne à l’heure actuelle en ce domaine. Chaque ville a ses propres pratiques, suivant ses priorités budgétaires ou ses convictions, et pas toujours pour le plus grand intérêt de ses habitants. Dans le domaine de la restauration scolaire en école primaire, on trouve de tout : des tarifs uniques, des tarifs basés sur le quotient familial ; des paiements au repas, des paiements au forfait ; et à l’extrême, la sélection des enfants ayant droit à la cantine.

Beaucoup de municipalités ont en effet pris ce type de mesure, sans que cela défraie beaucoup la chronique : manque de places aidant, plutôt que d’engager des travaux lourds et chers pour agrandir les locaux dévolus à un service qui reste facultatif pour les communes, l’accès devient souvent restreint aux seuls enfants dont les deux parents travaillent. Les chômeurs, les mères (ou pères plus rarement) au foyer, sauf accords dérogatoires individuels, se retrouvent alors exclus du bénéfice de la cantine.

Dans ces différentes pratiques, on peut voir une vision diamétralement opposée du rôle social de la restauration scolaire. Il y a ceux pour qui la cantine est un lieu d’apprentissage, au même titre que les autres temps scolaires : apprentissage de l’équilibre alimentaire, ce qui n’est pas un luxe à une époque où les problèmes de nutrition augmentent ; mais aussi apprentissage de la vie en société autour de ce qui a toujours été un temps de convivialité et de partage, le repas. Pour d’autres, la cantine est presque un mal nécessaire, une garderie pour les enfants que leurs parents ne peuvent pas garder le midi, rien n’étant mieux pour ceux-là qu’un repas partagé en famille.

Au bout du compte, le résultat est que deux familles de situations similaires, mais habitant l’une à Drancy ou au Bourget, l’autre à Noisy-le-grand ou Nogent-sur-Marne (par exemple), peuvent être confrontées à des réalités bien différentes : si l’un des parents ne travaille pas, dans le premier cas les enfants pourront quand même aller à la cantine, gratuitement, dans le second, ils devront rentrer chez eux. Pour y manger, ou pas.

La décentralisation a vocation à créer une démocratie de proximité, permettant une meilleure adaptation des services publics aux besoins spécifiques d’un territoire. Elle permet aussi l’émergence d’initiatives locales innovantes qui peuvent être ensuite étendues ou généralisées. Cependant, quand les différences de traitement entre les communes sont dues plus à des choix personnels qu’à une véritable écoute démocratique des besoins des citoyens, les inégalités qui en résultent nous montrent les limites et les failles de la décentralisation, telle qu’elle fonctionne actuellement.

Ce type d’événements nous donne de belles pistes de réflexion pour l’action publique. En matière de restauration scolaire, voire de toute autre action périscolaire, l’Etat doit-il prendre une part de la charge pour que toutes les communes puissent être sur un pied d’égalité ? C’est ce qui se passe à Drancy et Le Bourget, qui financent une partie de leur baisse de recette par dotation de l’Etat. Mais dans ce cas, que reste-t-il des compétences municipales en la matière ? Quant aux cantines et autres actions périscolaires (garderies, centres aérés, etc…), au-delà des actions encore ponctuelles, elles méritent un vrai débat public, pour l’heure inexistant, au détriment des familles.

Photo / © Christophe Fouquin - Fotolia.com

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Date de première rédaction le 27 janvier 2007.
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