Point de vue

Sans une politique de cohésion sociale, aucune réforme fiscale ne sera acceptée

Le consentement à l’impôt s’érode en France, non pas tant en raison du niveau de taxation que du sentiment de « payer pour les autres » engendré par la complexité du système, estime Raul Sampognaro, économiste à l’OFCE. Extrait du quotidien Le Monde.

Publié le 28 avril 2017

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Revenus

La fiscalité occupe une place centrale dans les débats publics. Ceci ne date pas d’aujourd’hui. Il suffit de regarder l’histoire de la caricature politique pour découvrir que la « voracité fiscale » de l’État a toujours été un sujet de préoccupation depuis l’émergence des États-nations. La question de la légitimité de l’impôt est fondatrice de la modernité politique.

Si le débat est plus vif aujourd’hui qu’hier, cela s’explique par le niveau historiquement élevé de la fiscalité. L’ensemble des prélèvements fiscaux et sociaux représente 44,3 % du PIB en France, très proche du maximum historique de 2013. Parmi les pays riches membres de l’OCDE, seul le Danemark affiche un niveau plus important. Ce fort taux s’explique par le choix de financer notre système de protection sociale par une contribution socialisée. En France, contrairement à d’autres économies comparables, l’assurance maladie et les retraites reposent largement sur un système public [1].

Le débat entre les avis divergents sur la pertinence de ce choix ne peut être résolu que dans le cadre de la délibération collective. Les partisans de l’assurance publique jugent que la mutualisation des risques permet de mieux maîtriser les coûts. Par exemple, le système de santé américain n’arrive pas à garantir une assurance universelle alors même que les dépenses associées représentent six points de PIB de plus qu’en France.

Choix de société

Selon Martin Hirsch (directeur général de l’APHP) et Didier Tabuteau (conseiller d’État), une assurance maladie 100 % publique permettrait d’économiser environ six milliards de frais administratifs. Certes, le transfert des cotisations actuellement versées aux complémentaires vers l’assurance publique ferait augmenter le taux de prélèvements obligatoires. Mais il participerait à l’allégement de la facture finale payée par les familles. Ces exemples montrent que la question sur la fiscalité ne peut pas être traitée de façon indépendante de celle de l’efficacité de la dépense qu’elle sert à financer.

Ces choix de société ne datent pas d’hier. Par conséquent ils ne peuvent pas expliquer le « ras-le-bol fiscal » ressenti par Pierre Moscovici en 2013 lorsqu’il était ministre des finances. Le consentement à l’impôt aurait-il atteint ses limites ? La fragilisation de l’acceptation sociale de l’impôt s’expliquerait par le choc fiscal mis en place depuis la crise de la zone euro. Depuis 2011, les différents gouvernements ont mis en œuvre des hausses de fiscalité de plus de 70 milliards d’euros, dont plus de 50 milliards de prélèvements payés par les ménages [2]. En particulier, les impôts reposant sur le revenu et le patrimoine des ménages ont augmenté de 23 milliards. Ces impôts représentent actuellement 16 % du revenu des ménages. Ces hausses ont représenté un niveau équivalent, rapporté au revenu des ménages, aux baisses effectuées depuis 2000.

Sentiment d’injustice

Comme ces impôts sont les plus progressifs, une grande part du choc a été concentrée parmi les Français les plus aisés. Les 10 % des Français à plus fort revenu ont perdu plus de 800 euros de pouvoir d’achat. Le choc a aussi touché les classes moyennes. 40 % des ménages auraient subi les hausses de fiscalité directe décidées entre 2011 et 2015. Mais il ne faut pas réduire le choc fiscal à la seule fiscalité directe. Les impôts locaux, la TVA et les taxes pesant sur la consommation énergétique ont aussi été relevés. Or, ces impôts affectent fortement les classes populaires.

Cette montée des taux d’imposition a eu lieu alors que les revenus étaient en berne. L’État a grevé le pouvoir d’achat des citoyens au moment précis où ils avaient le plus besoin de filets de protection. Le sentiment que la gestion de la crise financière par la puissance publique s’est traduite par une socialisation des pertes sans remettre en cause la privatisation des profits a contribué à ternir l’image de l’impôt.

Ce sentiment d’injustice a été aggravé par la dégradation des services publics. Depuis 2014, le redressement des comptes publics a été mené essentiellement par un effort de maîtrise de la dépense. Si on ne compte pas les intérêts de la dette publique, les budgets publics ont été réduits de 40 milliards d’euros, dont 18 milliards de coupes faites dans le système de protection sociale.

Système complexe

Les Français ont été de plus en plus sollicités pour financer le budget public et certaines prestations sociales, comme les allocations familiales, ont été mises sous condition de ressources. Cette évolution pourrait réduire le consentement des plus fortunés à participer au financement de la protection sociale, dont le caractère universel est entaché, et mettre en danger l’édifice.

Les changements de fiscalité ont eu comme seul objectif d’augmenter les recettes fiscales. Les différentes réformes successives ont rendu le système plus complexe. La grande réforme fiscale promise par François Hollande n’a pas été réalisée. Du fait de la complexité du système, il n’est pas certain que le taux d’imposition de deux contribuables bénéficiaires d’un revenu identique soit le même.

Les différentes formes de revenu sont taxées à des taux différents, même si cela a été atténué par le fait que certains revenus du capital sont maintenant taxés au même barème que l’impôt sur le revenu, probablement la réforme fiscale la plus ambitieuse du quinquennat.

Débattre du contenu de notre pacte social

Grâce aux travaux de l’économiste Thomas Piketty [3], il est désormais admis que le taux marginal d’imposition diminue pour les plus riches. Les Français les plus fortunés disposent des ressources et des conseillers leur permettant de bénéficier des failles du système et des niches fiscales. La fraude et l’optimisation fiscales minent le consentement à l’impôt car elles donnent le sentiment que c’est toujours les autres qui bénéficient de ces failles.

Il serait fondamental de débattre de la remise à plat du système fiscal. Ce débat ne peut pas être cantonné à une discussion sur les paramètres du système, comme la fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG, ou le nombre de tranches de l’impôt sur le revenu. Il faut débattre du niveau de biens publics auquel chacun doit avoir accès, de « ce qui fait société ».

La devise de l’administration fiscale américaine est « l’impôt est le prix de la civilisation ». Sans une politique de cohésion sociale, aucune réforme fiscale ne sera acceptée. La crise du consentement à l’impôt vient essentiellement du sentiment que c’est toujours « l’autre » qui bénéficie des services publics, ou des failles du système. Il est urgent de débattre du contenu de notre pacte social.

Raul Sampognaro

Cet article est repris d’un article paru le 1er avril 2017 sur Le Monde.fr.

Photo / © Olivier Dirson - Fotolia


[1Pour une analyse plus détaillée de la comparaison des dépenses publiques voir ’Dépenses publiques : quels enjeux pour le prochain quinquennat ?’, Bruno Ducoudré, Mathieu Plane et Raul Sampognoro, Policy Brief n°17, OFCE, 19 avril 2017.

[2Mais il faut remarquer qu’entre 2000 et 2011, le rapporteur du budget de l’époque avait estimé à 100 milliards les baisses d’impôt, NDRL.

[3Économiste, directeur d’études à l’EHESS, professeur à l’École d’économie de Paris et auteur de Le Capital au XXIe siècle, éd. Le Seuil, 2013, NDRL.

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Date de première rédaction le 28 avril 2017.
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