Analyse

Les inégalités dans les pays de l’OCDE : l’écart entre riches et pauvres se creuse

Depuis les années 1980, les inégalités de revenu ont augmenté dans la plupart des pays de l’OCDE. L’analyse des principales causes par Michael Förster, Odile Rouhban et Céline Thévenot de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), extrait de la revue Après-demain.

Publié le 25 octobre 2016

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Revenus Niveaux de vie

Depuis les années 1980, les inégalités de revenus ont augmenté dans la plupart des pays de l’OCDE [1]. Ces évolutions n’ont pas été continues au cours du temps, mais ont eu lieu par à-coups dans un certain nombre de pays, aussi bien en période de croissance qu’en période de crise. L’augmentation de l’emploi atypique et précaire, le progrès technique biaisé en faveur des travailleurs qualifiés [2] et l’affaiblissement des systèmes redistributifs, sont soulignés comme principaux facteurs responsables de cette montée des inégalités. Promouvoir la création d’emplois de qualité, soutenir la participation des femmes au marché du travail, garantir l’accès à une éducation de qualité pour tous et renforcer l’efficacité des systèmes de redistribution sont des moyens de remédier à ce creusement des inégalités entre riches et pauvres.

Panorama global des inégalités

Les inégalités de revenus varient considérablement selon les pays. On les mesure généralement au moyen du coefficient de Gini, qui vaut 0 si tous les individus disposent du même revenu, et 1 si un seul individu détient la totalité du revenu disponible. Dans la zone OCDE, ce coefficient s’établit à 0,32 en 2012. Il valait 0,29 au milieu des années 80.

Les pays les plus inégalitaires aujourd’hui au sein de la zone OCDE sont le Mexique, le Chili, et la Turquie, suivis par les États-Unis. Le coefficient de Gini y dépasse 0,40, un seuil souvent considéré comme critique, et dépasse même 0,48 au Chili et au Mexique. Les pays du nord de l’Europe, comme le Danemark et la Norvège et certains pays d’Europe centrale, comme la Slovénie et la République slovaque, sont les plus égalitaires. La France est très proche de la moyenne de l’OCDE, plus égalitaire que le Royaume-Uni, mais légèrement moins que l’Allemagne (voir graphique ci-dessous).

Les données dont on dispose pour mesurer les inégalités dans les économies hors zone OCDE ne sont pas parfaitement comparables. Elles permettent néanmoins d’établir que les inégalités dans les pays émergents sont en moyenne plus marquées que dans la région OCDE et sont proches ou supérieures à celles des pays de l’OCDE les plus inégalitaires. Alors que dans la zone OCDE, le coefficient de Gini est en moyenne de 0,32, il se situe entre 0,34 et 0,40 en Inde, en Indonésie et dans la Fédération de Russie, autour de 0,45 à 0,56 en Chine, au Pérou, au Mexique, au Chili, au Brésil et en Colombie. En Afrique du Sud, il atteint 0,67 au début des années 2010, le plus haut taux parmi les pays pour lesquels des données sont disponibles.

Source : Base de données de l’OCDE sur la distribution des revenus. Les revenus font référence au revenu disponible, corrigé par la taille du ménage (« niveau de vie »).

La répartition du patrimoine net des ménages est encore plus inégalitaire que celle du revenu. Ainsi, dans les pays de la zone OCDE, les 40 % les plus pauvres détiennent seulement 3 % du patrimoine total, alors qu’ils détiennent 20 % du revenu total des ménages. Les 10 % les plus riches en termes de patrimoine détiennent près de la moitié du patrimoine, alors qu’ils détiennent 25 % du revenu global. Ce pourcentage s’élève à 70 % aux États-Unis, et 60 % en Autriche, en Allemagne et aux Pays-Bas – ces trois derniers pays affichant pourtant des niveaux plus faibles d’inégalité de revenu. La France est proche de la moyenne OCDE.

Entre riches et pauvres, un écart qui se creuse

Au cours des 30 dernières années, les inégalités de revenu se sont creusées dans la plupart des pays de l’OCDE, pour atteindre parfois les plus hauts niveaux historiques. Le revenu moyen des 10 % les plus riches de la population, en 2012, est près de 10 fois supérieur à celui des 10 % les plus pauvres. Dans les années 80, ce rapport était de 7 à 1, puis de 8 à 1 dans les années 90 et de 9 à 1 dans les années 2000. Dans les pays plus inégalitaires, comme les États-Unis ou le Royaume-Uni, les inégalités ont progressé ou sont restées à un niveau élevé. Dans les pays où le niveau des inégalités est intermédiaire, comme la France ou l’Allemagne, les inégalités ont connu des évolutions contrastées. Elles ont baissé en France au cours des années 80, puis augmenté à plusieurs reprises au cours des années 2000, notamment dans les premières années de la crise de 2008. Elles sont aujourd’hui revenues à un niveau comparable à celui du début des années 80. En Allemagne, elles ont augmenté, notamment à partir de la première moitié des années 2000, pour rejoindre un niveau comparable à celui de la France à la fin de la décennie. Enfin, les inégalités ont progressé dans les pays où elles étaient faibles, en particulier en Suède.

Dans les pays émergents, le niveau (élevé) des inégalités a au contraire eu tendance à diminuer depuis le milieu des années 90, en particulier en Amérique latine et aux Caraïbes, par exemple au Brésil. Cette diminution des inégalités s’explique par un renforcement de la protection sociale et une intensification des mesures de redistribution dans ces pays. La Fédération de Russie a également vu le niveau global de ses inégalités diminuer. En Inde, les inégalités sont relativement stables depuis les années 1990. En revanche, elles ont augmenté en Chine au cours des années 1990, en particulier après l’ouverture de l’économie, avant de se stabiliser depuis le milieu des années 2000.

À long terme, la hausse des inégalités n’est pas un phénomène continu, mais se fait plutôt par à-coups et par paliers. Au Royaume-Uni, par exemple, c’est durant les années 80, à la suite des réformes de l’ère Thatcher, que les inégalités se sont considérablement creusées. En Suède, les inégalités ont connu une forte hausse durant les années 90 et, de nouveau à partir du milieu des années 2000, allant de pair avec des réformes fiscales et sociales.

Contrairement à certaines idées reçues, les inégalités de revenus peuvent augmenter en période de croissance de l’emploi comme en période de crise. L’évolution à la hausse depuis plusieurs décennies en est la preuve : au cours des années 2000, par exemple, les taux d’emploi se sont accrus, mais les emplois créés – majoritairement des emplois atypiques (emplois temporaires, à temps partiel ou travail indépendant) – ont renforcé les écarts sur le marché du travail. De même, le revenu disponible des ménages a progressé en moyenne de 1,6 % dans les pays de l’OCDE mais les revenus des plus riches ont augmenté plus rapidement que ceux des pauvres dans les trois quarts des pays de l’OCDE, engendrant des niveaux record d’inégalités.

Réciproquement, les inégalités n’augmentent pas nécessairement en temps de crise. La hausse du taux de chômage consécutive à la crise peut entrainer un mouvement vers le bas d’une partie des revenus ; d’autre part, les revenus du capital, massivement concentrés en haut de la distribution des revenus, peuvent eux aussi être impactés. Selon l’ampleur de ces deux mouvements opposés, les inégalités peuvent se résorber ou s’accroître. Depuis la crise de 2008, on observe une stabilisation des inégalités dans un certain nombre de pays de l’OCDE en comparaison avec l’augmentation des décennies précédentes. Les mesures redistributives mises en place dans un premier temps pour compenser l’effet de la crise ont permis de contenir l’augmentation des inégalités de revenus marchands dans un certain nombre de pays. Les pays ayant procédé à des mesures d’austérité dans la seconde partie de la crise comme la Grèce, l’Irlande, le Portugal et l’Espagne, ont en revanche vu leurs niveaux d’inégalités augmenter. Ces observations montrent que la hausse des inégalités n’est pas inexorable, et que des politiques fiscales et redistributives adaptées peuvent permettre d’éviter la montée des inégalités. Deuxièmement, croissance et récession peuvent avoir des effets ambigus sur les inégalités. Si la croissance ne s’accompagne pas de création d’emplois de qualité, et d’une redistribution égalitaire des fruits de la croissance, les inégalités peuvent augmenter.

Les facteurs à l’origine de la montée des inégalités

Trois facteurs principaux ont alimenté l’augmentation des inégalités depuis trois décennies. Le premier, mentionné ci-dessus, est l’évolution des formes d’emploi et des conditions de travail. La multiplication des emplois atypiques, moins stables, moins bien rémunérés et majoritairement occupés par des personnes jeunes et peu qualifiées, a favorisé une polarisation du marché du travail. Aujourd’hui, un tiers des personnes en emploi dans l’OCDE est employé sous une forme non standard ; 56 % des emplois créés entre 1997 et 2013 sont de cette forme. Le second facteur majeur est l’évolution du contexte technologique et économique, notamment les avancées des technologies de l’information et des communications (TIC) qui ont tendance à favoriser les travailleurs qualifiés et à creuser l’écart de salaire entre ceux-ci et les travailleurs non-qualifiés. Le troisième facteur est l’affaiblissement de la redistribution depuis les années 90 dans les pays de l’OCDE. Dans la plupart des pays de l’OCDE, la redistribution avait globalement progressé depuis le milieu des années 80, et les dispositifs fiscaux et sociaux de nombreux pays compensaient plus de la moitié de la hausse des inégalités des revenus marchands. Alors que ces inégalités ont poursuivi leur progression après le milieu des années 90, les politiques fiscale et sociale ont perdu en efficacité, et l’effet de stabilisation des impôts et des prestations sur les inégalités de revenus des ménages a reculé.

D’autres facteurs ont des effets plus indirects ou ambigus. Si l’intégration commerciale accrue et l’ouverture financière n’ont pas eu d’impact significatif direct sur les inégalités salariales ou les tendances de l’emploi, elles ont pu affecter indirectement les inégalités en faisant pression sur les politiques nationales et le contexte institutionnel. Nombre de pays de l’OCDE ont par exemple relâché leur législation de protection de l’emploi applicable notamment aux titulaires de contrats temporaires. Cet assouplissement va de pair avec une plus grande dispersion salariale. Cependant, ces changements dans la régulation des marchés de biens et du travail liés à la mondialisation ont également généré une création d’emploi. Aussi, l’impact de l’ouverture commerciale et financière sur les inégalités reste ambigu.

Enfin, certaines évolutions sociétales des trente dernières années ont influencé le niveau des inégalités. Si la hausse du niveau d’études et de l’activité féminine ont permis de les réduire, l’augmentation des ménages célibataires ou sans enfant – passant de 15 % des ménages d’âge actif à la fin des années 80 à 20 % au milieu des années 2000 – a contribué à l’augmentation des inégalités, ces plus petits ménages tirant un moindre parti de la mutualisation des ressources et du partage des dépenses. La responsabilité de l’évolution structurelle des ménages dans la montée des inégalités reste cependant modeste.

Cet article est extrait d’’Inégalités croissantes’, revue Après-demain, Fondation Seligmann, n°38, avril 2016.

Photo / © dkimages - Fotolia.com


[1Cet article résume les résultats et conclusions récents sur les inégalités publiés par l’OCDE dans deux ouvrages : ’Tous concernés – Pourquoi moins d’inégalité profite à tous’, OCDE, 2015 et ’Toujours plus d’inégalité : pourquoi les écarts de revenus se creusent’, OCDE, 2012.

[2Depuis une vingtaine d’années, le progrès technique favoriserait l’emploi des travailleurs les plus qualifiés et entraînerait une augmentation du chômage chez les moins qualifiés.

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Date de première rédaction le 25 octobre 2016.
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