Analyse

Baisses d’impôts : un nouveau gâchis à deux milliards

L’impôt sur le revenu va être réduit de deux milliards d’euros. Une mesure électoraliste qui prive notre pays de ressources essentielles pour réduire les inégalités. Par Valérie Schneider, de l’Observatoire des inégalités.

Publié le 15 septembre 2015

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Revenus

Huit millions de contribuables verront leur impôt sur le revenu baisser en 2016, ce qui coûtera deux milliards d’euros aux finances publiques de la France, a annoncé début septembre le président de la République. Cette opération constitue un choix politique très fort. Compte tenu du niveau des déficits publics, il n’y a pas de « trésor caché » dans le budget de l’État : ce qui est perdu en impôts n’est pas dépensé par ailleurs. Chaque euro donné aux contribuables manque pour la santé, l’école, la sécurité, le logement, etc. Faute de pouvoir comprendre ce que représentent deux milliards, nombre de citoyens n’évaluent pas l’impact énorme d’une telle décision. En outre, il faut noter qu’il ne s’agit pas d’une mesure temporaire : en 2017, les impôts ne seront pas relevés. Ces deux milliards seront donc dépensés chaque année. Sur dix ans, les finances publiques auront perdu 20 milliards d’euros.

Pour que l’on mesure l’ampleur de ce gâchis, l’Observatoire des inégalités donne quelques exemples très concrets de ce dont le gouvernement va priver notre pays, à travers des besoins qui font l’objet d’un consensus assez large. Comme nous l’avons montré avec notre « Evaluateur des dépenses publiques », les cadeaux fiscaux auraient pu servir à réduire les déficits et à moderniser les services publics.

Que peut-on faire avec deux milliards d’euros ? [1]

Peu nombreux sont ceux pour qui deux milliards signifie quelque chose. Deux milliards d’euros pourraient pourtant servir à améliorer la vie de personnes en difficulté comme une partie des jeunes, des personnes âgées ou encore à donner davantage de moyens à l’école pour lutter contre l’échec scolaire. Nous avons sélectionné quatre propositions (détaillées ci-dessous) dont le financement annuel total atteint ces deux milliards. Nous aurions pu aussi proposer de construire 300 commissariats de quartier (990 millions), de rendre accessibles les bâtiments publics aux personnes à mobilité réduite (2 milliards), de créer 100 000 emplois d’utilité publique par an (2 milliards), d’ouvrir 100 000 places de crèche supplémentaires (2 milliards) ou encore de rénover 6 000 places de prison par an (1 milliard). La moitié de ces deux milliards serait aussi suffisante pour proposer une allocation de 500 euros mensuels à quelque 160 000 réfugiés.

Quatre propositions très simples

Accorder un minimum de 500 euros mensuels à 50 000 jeunes de moins de 25 ans = 300 millions d’euros. Une partie des jeunes en difficulté vivent à la rue ou sont hébergés de façon précaire parce qu’ils ne perçoivent aucune aide. Le revenu minimum de solidarité (RSA) n’est accordé aux moins de 25 ans que dans des conditions très restrictives. A 18 ans, on est majeur en politique, mais pas pour notre modèle social.

Construire 10 000 logements sociaux supplémentaires et en rénover 10 000 = 600 millions d’euros. La France manque de logements. Les propriétaires se sont enrichis avec l’envolée des prix, mais nombre de jeunes ménages notamment peinent à se loger faute de revenus suffisants.

Allouer un chèque autonomie de 500 euros mensuels pour 100 000 personnes âgées démunies = 600 millions d’euros. On le sait, nombre de personnes âgées aux bas revenus finissent leur vie dans des conditions indignes sans que la société, elle, s’indigne. Ce chèque leur permettrait de financer une part d’une aide à domicile, d’une place en maison de retraite, etc. 308 000 personnes de 65 ans et plus vivent sous le seuil de pauvreté à 50 % du revenu médian en 2012, selon l’Insee.

Créer 20 000 emplois d’aides éducatifs en primaire et au collège = 500 millions d’euros. Pour soulager les enseignants et leur permettre par exemple de consacrer du temps à ceux qui ont le plus de difficultés, les établissements ont besoin de personnel de soutien, comme il en existe dans de nombreux pays. Nous avons estimé le coût annuel, toutes charges comprises, à 25 000 euros par poste.

Bien d’autres mesures pourraient aussi être financées par les baisses d’impôts annoncées. Vous pouvez vous-même faire votre choix avec notre Évaluateur des dépenses publiques.

Que peut-on financer avec 2 milliards d'euros ?
Coût annuel (en milliards d'euros)
Accorder un minimum de 500 euros mensuels à 200 000 jeunes de moins de 25 ans 1,2
Construire 25 000 logements sociaux supplémentaires et en rénover 25 000 par an1,5
Allouer un chèque autonomie de 500 euros mensuels pour 300 000 personnes âgées démunies1,8
Créer 100 000 empois d'aides éducatifs en milieu scolaire2,5
Proposer un chèque loisirs-culture de 350 euros par an à 5 millions de jeunes1,7
Créer 100 000 emplois d'utilité publique par an2,0
Rendre les bâtiments publics accessibles aux personnes à mobilité réduite2,0
Rénover 6 000 places de prison par an1,0
Ouvrir 300 commissariats de quartier0,9
Ouvrir 100 000 places de crèche supplémentaires2,0

Source : © Observatoire des inégalités - 2015

Pourquoi gâcher l’argent public ?

Comment peut-on, en pleine période de crise, en arriver à gâcher ainsi deux milliards d’euros ? L’annonce de ces nouvelles baisses d’impôts repose sur la thèse d’un ras-le-bol fiscal, dont l’origine remonte à 2013, et qui a été elle-même mise en scène par le ministre de l’Économie de l’époque Pierre Moscovici. Aux sondages, « Pensez-vous que les impôts sont trop élevés ? », la réponse est toujours « Oui ». Il en serait de même à la question jamais posée : « Faut-il aider les personnes âgées démunies ou les jeunes à la rue ? ». Les impôts ont effectivement augmenté à partir de 2011, mais dans une proportion à peu près deux fois moindre que leur baisse entre 2001 et 2010.

Nous entrons en période électorale et l’exécutif pense qu’aller dans le sens de l’opinion mesurée dans les sondages va lui redonner une popularité perdue. Comme l’a montré la même expérience en 2002, que l’électeur n’oriente pas son choix en fonction de quelques dizaines d’euros en moins (qui dans tous les cas lui semblent dus), mais de considérations bien plus profondes sur la correspondance entre les programmes et ses attentes. Cette nouvelle perte nous montre l’éloignement du pouvoir central des besoins sociaux concrets de la population. Ce dernier ne voit plus la France que par les sondages ou l’analyse de quelques « think-tanks » parisiens. Des milliards d’euros d’argent public peuvent être économisés [2]. Mais, en même temps, de l’accueil de la petite enfance aux maisons de retraite, en passant par les hôpitaux ou les prisons, la sécurité, la justice ou l’enseignement, chacun s’accorde sur l’ampleur des besoins collectifs. Y répondre en les évaluant de façon sérieuse est un enjeu politique beaucoup plus fort pour notre pays que de se lancer dans une course aux sondages à courte vue.

Moins d’impôts : quel impact économique ?
Au moins, est-ce qu’en baissant les impôts de deux milliards on peut s’attendre à plus d’activités, donc plus d’emploi ? Moins d’impôts devrait favoriser la croissance en augmentant les revenus, donc la consommation. En pratique, comme l’a montré l’exemple de la période 2001-2010, l’effet est nul. Une partie importante de ces baisses alimente l’épargne des contribuables et n’a qu’un impact très indirect sur l’économie. En période de déficit, pour financer les cadeaux fiscaux, il faut réduire les dépenses publiques qui alimentent elles aussi la croissance.

Photo : © Ivan Constantin


[2Au passage, les dépenses publiques font vivre aussi le secteur privé. Sans remboursements par la Sécurité sociale, bon nombre de médecins n’exerceraient plus et des laboratoires fermeraient boutique. Sans commandes publiques, le bâtiment et la construction s’effondreraient, etc. Une grande partie des secteurs fonctionnent grâce à l’argent de la collectivité.

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Date de première rédaction le 15 septembre 2015.
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