Entretien

« L’Etat social produit des effets positifs ». Entretien avec Patrick Savidan, professeur de philosophie politique, président de l’Observatoire des inégalités

Les politiques fiscale et sociale jouent un rôle non négligeable pour limiter les écarts de niveaux de vie. Mais l’heure n’est malheureusement pas au renforcement de la protection sociale. Entretien avec Patrick Savidan, professeur de philosophie politique, président de l’Observatoire des inégalités. Extrait du magazine Alternatives Économiques.

Publié le 12 juin 2015

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Revenus Niveaux de vie

La crise a aggravé les inégalités, mais n’ a-t-elle pas également limité la volonté de les combattre ?

C’est une hypothèse qui doit être examinée de près. L’augmentation des inégalités peut en effet s’auto-alimenter en entraînant une demande de baisse des dépenses de l’État. Nous pourrions penser - non sans raison - que lorsque la situation se dégrade, cela incite à renforcer les dispositifs publics de protection sociale. Ce n’est pas toujours ce que l’on observe. Pas facile de savoir pourquoi le creusement des inégalités favorise parfois un certain conservatisme social. Cela suscite immanquablement la perplexité chez les progressistes, qui aimeraient pouvoir compter sur une sorte de rapport mécanique entre la perception d’une injustice sociale et la mise en branle politique de ceux qui la subissent. Mais ce n’est pas le cas. Les résistances actuelles à la réforme des collèges en sont, à mon sens, une illustration.

En France, les dépenses publiques sont cependant déjà très importantes. Permettent-elles de réduire efficacement les inégalités ?

La politique fiscale et les prestations sociales ont, dans l’Hexagone, un effet réel sur les écarts de conditions de vie. En 2010, le seuil minimal de niveau de vie des 20 % les plus aisés était près de sept fois plus élevé que le seuil maximal des 20 % les plus modestes. Après redistribution, l’écart se situe aux alentours de 3,8. On sait aussi que les services publics de santé, de logement et d’éducation contribuent fortement à la réduction des inégalités en assurant, indépendamment des revenus, l’accès à des services gratuits ou à coûts limités. Si l’on intègre ces transferts en nature, corrigés des effets inégalitaires de la TVA, ce rapport entre les niveaux de vie des plus riches et des plus pauvres passe à un peu moins de 3. L’Etat social n’est donc pas, en France, un pur fantasme : il produit des effets positifs sur le terrain de la justice sociale. Ce qui ne signifie évidemment pas que ce soit suffisant, ni que cet effet soit garanti.

Au fond, quel niveau d’inégalités faudrait-il souhaiter, qu’est-ce qu’une « bonne société » sur le plan des inégalités ?

Une telle question mériterait une réponse très longue (qui serait aussi, sans doute, très embarrassée). Tout simplement parce qu’il faudrait commencer par distinguer les types d’inégalités. On ne peut pas traiter de la même manière les inégalités dans l’accès aux droits et les inégalités économiques, par exemple. Dans certains cas, on exigera, pour des raisons qui tiennent à notre engagement démocratique, une stricte égalité. Dans d’ autres, on ne cherchera pas à résorber toutes les différences. Dans certains domaines, comme celui de l’économie par exemple, nous savons que les individus ne demandent pas une égalité parfaite. Il me semble que le bon niveau d’inégalités est atteint lorsqu’on n’est plus tenté d’y penser en tant qu’inégalités justement, mais que l’on y voit plutôt de simples différences procédant de choix individuels. Sur un plan plus objectif, je dirais que le bon niveau d’inégalités est celui qui permet de produire des rapports sociaux et un système social susceptible de dégager des moyens pour les diminuer encore.

Patrick Savidan, professeur de philosophie politique à l’université de Poitiers, président de l’Observatoire des Inégalités, auteur de l’essai « Voulons-nous vraiment l’égalité ? » , à paraître chez Albin Michel.

Propos recueillis par Guillaume Duval.

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Date de première rédaction le 12 juin 2015.
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