Entretien

« La pauvreté ne reculera que si le chômage décroit », entretien avec François Chérèque, inspecteur général des affaires sociales

Le gouvernement a adopté un plan de lutte contre l’exclusion et la pauvreté en janvier 2013. Il contient 61 mesures de nature diverse qui vont de l’expérimentation de dispositifs d’insertion à la hausse de certaines prestations. Trois mois après, l’ancien responsable syndical, François Chérèque, chargé de suivre sa mise en œuvre, a remis ses premières observations au Premier ministre.

Publié le 2 mai 2013

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Revenus

Sous le concept de pauvreté n’y a-t-il pas des situations très différentes qui appellent des politiques différentes ?

Vous avez raison, sous le seuil de pauvreté à 970 euros par mois pour une personne seule se mêlent des conditions de vie très différentes. Pour traiter la grande pauvreté, il est ainsi prévu un programme de rattrapage de la valeur du RSA par rapport au salaire minimum (SMIC). Il valait 53 % du SMIC quand il a été créé et ne représente plus que 43 % aujourd’hui.

Plus largement, les 61 mesures du plan de lutte contre la pauvreté ne visent pas seulement à réduire la pauvreté monétaire, même si elle est importante. Elles favorisent aussi l’accueil dans les services publics, les cantines scolaires par exemple, l’accès au logement et à l’hébergement temporaire ou encore la lutte contre l’isolement des personnes âgées.

Le chômage est la principale cause de la pauvreté. Pensez-vous qu’on ait tout essayé pour l’enrayer ?

C’est vrai que la pauvreté ne reculera dans notre pays de façon importante que si le chômage décroit. Le plan de lutte contre la pauvreté ne répond qu’à la marge au problème du chômage car ce n’est pas un plan de lutte contre le chômage. En revanche, plusieurs dispositifs sont orientés vers les personnes sans emploi en situation de pauvreté.

Par exemple, la « garantie jeune » dans l’emploi sera progressivement mise en place. En échange d’un parcours d’intégration (formation, soins, etc.) proposé par les missions locales, le jeune chômeur de 18-25 ans percevra une allocation équivalente au RSA, aujourd’hui elle est refusée au jeune de moins de 25 ans sauf s’il a travaillé deux ans sur les trois dernières années. Le dispositif sera expérimenté cet hiver et élargi à 100 000 jeunes l’an prochain.

Vous avez été chargé de suivre la mise en œuvre du plan de lutte contre la pauvreté lancé en janvier 2013. Quelles sont vos premiers constats ?

Je rendrai mon rapport d’évaluation en fin d’année mais, à ce stade, je constate que la montée en charge est conforme aux attentes et que les administrations sont mobilisées. Toutefois, j’ai alerté le Premier ministre sur plusieurs points.

Tout d’abord, que la lutte contre le non recours est primordiale même si elle est couteuse. Par exemple, un tiers des bénéficiaires potentiels du RSA et deux tiers pour le complément de RSA activité ne font pas valoir leurs droits. Au total, cela représente plus de cinq milliards d’euros d’aide sociale non utilisés. L’effort de redressement des comptes publics ne doit pas se faire au détriment de ces droits prévus par la loi et qui doivent s’appliquer.

Ensuite, j’ai proposé l’avancement de deux mois de l’augmentation du plafond de ressources pour bénéficier de la couverture maladie universelle (CMU) et de l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé. Ainsi, le plafond sera augmenté dès le 1er juillet de 7 %, et de l’inflation comme chaque année. Une personne seule qui gagne moins de 719 euros par mois pourra bénéficier d’une prise en charge à 100 % des frais de santé. Cela permet de ne faire qu’une augmentation et évite deux augmentations à deux mois de distance, ce qui aurait compliqué la compréhension de ces droits. Nous avons donc gagné deux mois..

Enfin, j’ai émis plusieurs vœux dans le domaine du logement tout en me félicitant que les hébergements d’urgence soient pérennisés toute l’année. Ce qui signifie que les places d’accueil aux sans domicile ouvertes l’hiver le resteront aussi l’été, avec la mise en place d’un accompagnement vers le logement social. Mais pour libérer des places dans ces hébergements, j’ai demandé que les demandeurs d’asile puissent avoir accès au logement social et pas seulement à l’hébergement temporaire. En dernier lieu, j’ai appelé à un respect de l’obligation de recherche de solutions de relogement avant de procéder aux évacuations de campements sauvages [1].

Que faire pour réduire le non recours aux droits sociaux ?

Premier point positif, les caisses d’allocations familiales (CAF) et les préfets se sont vu assigner par l’Etat l’objectif d’améliorer l’accès aux droits. Parallèlement, un travail de recherche-action est mené dans les départements de Seine-et-Marne (77) et de la Loire-Atlantique (44) afin d’identifier auprès des allocataires les raisons du non recours. Les résultats permettront d’adapter les pratiques.

En outre, une mission a été confiée au député Christophe Sirugue [2] en vue de ré-articuler les deux compléments de revenus aux bas salaires. La prime pour l’emploi est versée automatiquement mais tardivement par les services fiscaux alors que le RSA activité doit être demandé à la CAF et il est l’une des prestations les moins utilisées. Le rapport est attendu à la fin du mois de mai 2013.

Pendant dix ans vous avez été un témoin privilégié des évolutions du marché du travail en France. Estimez-vous qu’elles aillent dans le bon sens ?

Mon sentiment est que ces évolutions vont dans le mauvais sens. Les conditions de travail se sont dégradées depuis dix ans, en particulier à cause de la précarité de l’emploi. Celle-ci est due aux contrats de travail très courts, 60 % sont inférieurs à un mois, ou encore au temps partiel imposé qui oblige parfois à cumuler plusieurs emplois.

Ce n’est pas l’objet du plan de lutte contre la pauvreté. Cependant ces problématiques sont abordées par la loi sur l’emploi débattue à l’Assemblée nationale suite à l’accord des partenaires sociaux du 11 janvier 2013 [3]. Ainsi, les contrats de travail devront au minimum compter 24 heures de travail par semaine et les contrats courts seront taxés. Des accords dans les entreprises permettront d’anticiper les difficultés économiques pour limiter les licenciements. La compétitivité des entreprises ne doit pas être négligée sinon on ne va pas régler le problème du chômage.

Propos recueillis par Noam Leandri.

François Chérèque, inspecteur général des affaires sociales.

Photo / © Jean Paul Romani www.photothèque.org


[1Circulaire interministérielle du 26 août 2012 relative à l’anticipation et à l’accompagnement des opérations d’évacuation des campements illicites.

[2Voir la lettre de mission

[3Accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels des salariés.

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Date de première rédaction le 2 mai 2013.
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