Entretien

Un espace dédié aux jeunes pour comprendre les inégalités. Entretien avec Nina Schmidt, responsable du « projet jeunes » à l’Observatoire des inégalités

Afin d’aider les jeunes à comprendre le monde qui les entoure et les mécanismes qui conduisent aux discriminations dont ils peuvent être l’objet, l’Observatoire des inégalités a inauguré un espace web dédié aux jeunes. Rencontre avec Nina Schmidt, responsable du projet jeunes à l’Observatoire des inégalités. Extrait du site Apprentis d’Auteuil.

Publié le 2 avril 2013

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Âges

Quelles sont les missions de l’Observatoire des inégalités ?

Notre association, qui fêtera ses 10 ans cette année, est un organisme indépendant, dont le but est de publier des données et des analyses sur les discriminations et les inégalités sociales dans toutes ses dimensions : éducation, revenus, sexe, origine… Notre mission n’est pas de produire des études mais de faire de la veille et de trier ce qui paraît sur le sujet : travaux de chercheurs ou statistiques publiques, comme celles de l’Insee. Ensuite, nous publions ces informations principalement sur notre site dans un langage simple qui soit le plus accessible à tous. Notre effort de vulgarisation de ces données et de ces analyses nous paraît primordial pour que tout un chacun y ait accès et s’en saisissent : pouvoirs publics, chercheurs, journalistes et citoyen lambda.

Pourquoi avoir créé un espace web dédié aux jeunes ?

Ce projet, financé par l’Union Européenne dans le cadre d’un programme de lutte contre les discriminations (programme Progress) est dans la lignée de notre objectif de départ, à savoir informer les publics les plus larges possibles. Nous nous sommes aperçus qu’il existait peu d’informations sur la question à destination des jeunes. On en trouve bien sûr dans les manuels scolaires, mais seulement pour certains niveaux scolaires (4e,5e et section ES au lycée). Quant au reste des informations disponibles, elles sont exposées dans un langage trop complexe pour de jeunes adultes.

Pourquoi s’intéresser à cette « cible » en particulier ?

L’adolescence, c’est l’âge où on se pose ce type de questions : pourquoi mon copain arabe se fait contrôler plus que moi dans les transports ? Pourquoi ma mère caissière galère plus que les autres mamans ? Pourquoi y a-t-il dans le monde, des enfants qui travaillent ? Ces questions peuvent rester sans réponse pour eux, si elles ne sont pas formulées simplement. Or, c’est à cette période que se construisent les représentations, que se forment les préjugés qui s’observent dans la société plus tard : il nous paraît capital d’apporter aux jeunes, des réponses claires qui soient autant des éléments d’explications que des pistes de réflexions sur leurs propres représentations. Notre objectif est aussi d’éveiller leur esprit de solidarité, de former des citoyens. Nous visons autant les publics discriminés que les autres, plus favorisés, pour forcer le débat, amener la discussion sur des thématiques de société : l’homosexualité, le logement... Il est nécessaire que tous s’approprient ces sujets.

Quels outils avez-vous mis en place ?

Nous avons élaboré un ouvrage, que l’on peut regrouper en trois thèmes : les inégalités entre catégories de personnes (ex : « Une femme= un homme ? », « Les étrangers discriminés ? » etc.), les inégalités par domaine (ex : « Riche et bien soigné ou pauvre et malade ? ») et enfin les inégalités dans le monde. Nous sommes partis des situations auxquelles les jeunes peuvent être confrontés dans leur quotidien pour choisir les thèmes traités et surtout les manières de les aborder. Chaque fiche fait un état des lieux du sujet, fournit des données et tente d’expliquer le phénomène.

Voulez-vous rendre les outils plus participatifs ?

Oui, en effet. Nous souhaitons inclure davantage les ados dans notre projet en valorisant leur engagement contre les inégalités, et aussi leurs supports d’expression sur le sujet (vidéos, musiques, écrits…). D’ailleurs, si des auteurs en herbe veulent nous soumettre leurs créations sur le sujet des inégalités, qu’ils n’hésitent pas à nous contacter !

Nous avons donc lancé un concours vidéo sur le thème des inégalités sociales et des discriminations, qui s’est déroulé de mai à décembre 2012, et qui a plutôt bien marché puisque nous avons reçu près de 60 films, ce qui prouve que lorsqu’on leur donne la parole sur ces sujets, les jeunes s’en saisissent. Nous avons d’ailleurs été surpris de constater que beaucoup de types d’inégalités avaient été traités et pas seulement celles auxquelles nous nous attendions : le racisme, les inégalités hommes-femmes… Ainsi, le film qui a obtenu le[premier prix de la catégorie « collège » traite du logement et celui de la catégorie « lycée » de la discrimination à l’embauche. Depuis ce concours, on nous sollicite régulièrement pour réutiliser ces vidéos dans les écoles, les réunions publiques ou lors de journées particulières, comme le 8 mars, journée des femmes. Nous souhaitons également les utiliser en introduction de nos interventions auprès du jeune public. Ces vidéos ont parfois beaucoup plus d’impact que n’importe quel article !

Le fait de mettre en lumière les origines d’une inégalité ne risque-t-il pas de développer un esprit fataliste chez les ados ?

C’est effectivement un risque, celui de figer les représentations du type « c’est normal que j’échoue à l’école compte tenu de mon origine sociale ». C’est pourquoi systématiquement dans nos outils, nous ouvrons des pistes, évoquons des solutions. Oui, les enfants d’ouvriers ont moins de chances d’avoir leur bac que les enfants de profs. Pourtant, nous leur rappelons qu’il est toujours possible d’y arriver, de se faire aider par des associations, des structures comme les bibliothèques de quartier ou par l’école elle-même…. Nous tachons de toujours ouvrir des perspectives ! Dans notre fiche « Choisir son avenir ? », nous expliquons qu’être issu d’un milieu défavorisé ne cantonne pas l’ado à des métiers dévalorisants, qu’il ne faut pas s’autocensurer dans ses choix. Au passage, nous rappelons que réussir sa vie, ce n’est pas uniquement devenir riche et célèbre, même si nous ne voulons pas les empêcher de rêver.

Comment « justifiez-vous » les injustices ?

On ne justifie pas les injustices, au contraire, nous les dénonçons. Mais à notre sens, le travail important à faire auprès de tous, et plus particulièrement auprès des jeunes, consiste à réfléchir sur la manière dont l’ordre social est construit et maintenu par nos propres représentations… Lorsque nous n’associerons plus le métier d’éboueur à la saleté mais au fait que les éboueurs rendent nos villes plus propres, lorsque le talent des footballeurs ne sera plus seulement une question de génie personnel dans la tête des gens, mais également le fruit d’un apprentissage reçu dans des centres de formation publics, alors les choses évolueront peut-être. C’est pour cela qu’il est important d’informer et de discuter avec les jeunes qui en construisant leurs représentations, construisent la société de demain.

Propos recueillis par Frédérique Boursicot. Extrait de www.apprentis-auteuil.org.

Voir l’espace Jeunes de l’Observatoire des inégalités.

Photo / © Rido - Fotolia.com

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Date de première rédaction le 2 avril 2013.
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