Analyse

Les représentants syndicaux sont discriminés dans l’entreprise

Les délégués syndicaux reçoivent un salaire inférieur de 4 % aux non syndiqués, à niveau égal de diplôme, d’âge et d’ancienneté. En particulier parce qu’ils obtiennent moins souvent une promotion. Ces données témoignent d’une discrimination par certains employeurs. Une analyse d’Anne Brunner.

Publié le 10 novembre 2021

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Revenus Emploi Salaires

À niveau équivalent de diplôme, d’âge, de sexe et d’ancienneté, les délégués syndicaux (voir encadré) reçoivent un salaire inférieur en moyenne de 4 % à celui de leurs collègues non syndiqués. Telle est la conclusion d’un rapport, réalisé par Jérôme Bourdieu, Thomas Breda et Vladimir Pecheu [1] à la demande du ministère du Travail. De leur côté, les représentants du personnel non délégués syndicaux et les salariés syndiqués subissent une pénalité en termes de salaire de 2 % et 3 % respectivement en moyenne.

Jamais un employeur ne reconnaîtra une discrimination envers des syndiqués ou des représentants des salariés, c’est illégal. En outre, contrairement à l’accès à une offre d’emploi ou à un logement, il n’est pas possible de mettre en place des opérations de testing pour mettre en évidence la discrimination syndicale. La seule manière de procéder est d’observer les comportements des employeurs, fiches de paye à l’appui, en comparant les délégués syndicaux à leurs collègues, pour des situations semblables.

À poste comparable, les écarts ne sont guère significatifs entre salariés syndiqués et les autres, car les employeurs sont contraints par les grilles de salaires. Ce qui change, notent les auteurs, ce sont les carrières professionnelles, le fait d’avoir obtenu ou non une promotion à un nouveau poste plus gratifiant et mieux payé. La part des délégués syndicaux qui ont été promus dans les trois dernières années est inférieure de 10 points à celle des autres salariés, une fois retirés les effets de l’âge, du sexe, du niveau de diplôme et de l’ancienneté. Sachant qu’environ 30 % des salariés ont obtenu une promotion sur la période, « cela signifie que les délégués syndicaux ont un tiers en moins de chances d’avoir été promus que les autres employés », déduisent les chercheurs. En limitant les promotions, les employeurs peuvent exercer une sorte de répression sur les délégués syndicaux, qui sont au bout du compte moins bien rémunérés que les autres.

Ces données montrent l’existence d’une pénalité pour les syndiqués, mais comme le rappellent les auteurs du rapport, il reste toujours une forme d’incertitude sur l’ampleur exacte des discriminations. Les écarts peuvent être en partie dus à d’autres facteurs que l’enquête n’aurait pas mesurés. Le lien de causalité n’est pas non plus certain : on peut devenir représentant syndical parce qu’on est un salarié qui n’a pas reçu de promotion, et non l’inverse. On peut aussi imaginer qu’une partie de la discrimination échappe à la mesure si des personnes pénalisées finissent par se décourager et quitter l’entreprise.

Comme pour l’accès à l’emploi ou le logement, l’existence de discriminations dans certaines entreprises ne signifie pas qu’il s’agisse d’une pratique généralisée. Thomas Breda et ses collègues montrent que les discriminations sont plus fréquentes dans certaines situations. C’est le cas lorsque l’enjeu des négociations est fort, par exemple dans les entreprises qui dégagent les profits les plus importants, dans lesquelles les tensions sont plus grandes autour du partage de la richesse entre actionnaires et salariés. Les discriminations sont également plus fortes à l’égard des délégués syndicaux qui ont participé à une grève (la pénalité salariale monte alors à 8 %) tandis qu’à l’inverse, les délégués syndicaux qui n’ont pas participé aux arrêts de travail sont avantagés de 20 %. De même, l’écart de salaire au détriment des délégués syndicaux s’élève à 13 % en moyenne dans les entreprises où les syndicats sont les plus contestataires (la CGT et Sud).

Les auteurs du rapport suggèrent que les employeurs ne discriminent pas tous azimuts, mais pratiquent plutôt une « discrimination stratégique », en pénalisant certains représentants du personnel (par exemple les délégués syndicaux les plus revendicatifs) et en favorisant les plus dociles. « Les discriminations sont le résultat d’une volonté des employeurs de pénaliser les représentants qui menacent leurs intérêts, en particulier les délégués syndicaux qui sont en charge des négociations sur le partage de la valeur ajoutée, ou au contraire, “d’acheter” ceux qui accepteraient d’assurer la “paix sociale” en échange », concluent les auteurs.

Pénalité de salaire observée selon l'engagement syndical
Unité : %
Écart de salaire horaire par rapport aux salariés non syndiqués
Salarié syndiqué - 3
Représentant du personnel non syndiqué- 3
Représentant du personnel syndiqué non délégué syndical- 2
Délégué syndical- 4
À âge, ancienneté, sexe, niveau de diplôme comparables, dans une entreprise donnée.
Lecture : les représentants du personnel syndiqués ont un salaire horaire inférieur de 4 % en moyenne à leurs collègues non syndiqués, à niveau de diplôme, âge, sexe et ancienneté comparables.
Source : rapport de Thomas Breda et al. au ministère du Travail – Données 2015 – © Observatoire des inégalités
Pénalité en termes de chance de promotion observée selon l’engagement syndical
Unité : %
Écart de chances d’avoir été promu dans les trois dernières années, par rapport aux salariés non syndiqués
Salarié syndiqué - 4
Représentant du personnel non syndiqué- 0
Représentant du personnel syndiqué non délégué syndical- 2
Délégué syndical- 10
À âge, ancienneté, sexe, niveau de diplôme comparables, dans une entreprise donnée.
Lecture : un délégué syndical a 10 % de chances de moins de déclarer avoir bénéficié d’une promotion dans les trois années précédant l’enquête par rapport à un salarié non syndiqué, à niveau de diplôme, âge, sexe et ancienneté comparables.
Source : rapport de Thomas Breda et al. au ministère du Travail – Données 2015 – © Observatoire des inégalités
Représentant du personnel, délégué syndical, quelle est la différence ?
Les salariés syndiqués n’ont pas forcément un rôle de représentation du personnel. On peut adhérer simplement pour soutenir une organisation syndicale ou être informé de ses droits, par exemple. Les représentants du personnel (anciennement « délégués » du personnel) sont élus tous les quatre ans dans toutes les entreprises de plus de onze personnes, pour représenter les salariés auprès de l’employeur. Ils peuvent être syndiqués ou non. Ils constituent le conseil social et économique de l’entreprise (CSE). Dans les entreprises de plus de 50 salariés, le ou les principaux syndicats désignent parmi ces représentants du personnel des délégués syndicaux (leur nombre varie de un à cinq selon la taille de l’entreprise). Ils participent aux négociations annuelles et aux accords d’entreprise, à la différence des autres membres du CSE, dont le rôle est plus consultatif ou de défense individuelle des salariés.

[1« Étudier les représentants du personnel pour mieux comprendre les relations de travail et les conditions du partage de la valeur ajoutée », Jérôme Bourdieu, Thomas Breda et Vladimir Pecheu, Rapport d’étude n° 013, Dares, ministère du Travail, septembre 2021. Les données utilisées proviennent des salaires versés en 2015.

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Date de première rédaction le 10 novembre 2021.
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