Analyse

L’Insee révèle les « vrais » revenus

L’Insee reconnait que le niveau de vie des 5 % les plus riches est de 20 % supérieur à ce que les données officielles indiquaient jusqu’à présent. Un coin du voile se lève sur les revenus. L’analyse de Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités.

Publié le 15 novembre 2007

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Un coin du voile se lève sur les revenus des Français. L’Insee vient en effet de révéler pour la première fois des données sur les niveaux de vie [1] qui comprennent à la fois les revenus financiers (actions et obligations notamment) et l’avantage des propriétaires qui ne paient pas de loyers. Les résultats sont conformes à ce que nous indiquions dès la création de l’Observatoire des inégalités : les données officielles sous-estiment les revenus des couches aisées et, du coup, les inégalités.

Auparavant, les données officielles indiquaient que les 5% les mieux rémunérés (95 % touchent moins, dans le tableau) percevaient 2 898 euros par mois et par individu, une fois les impôts directs (sur le revenu, impôts locaux notamment) déduits et les prestations sociales ajoutées. Mais avec ces nouvelles données, leur niveau de vie est supérieur de près de 590 euros (3 486 - 2 898, cf tableau ci-dessous), soit 20 % en plus du chiffre annoncé jusqu’à maintenant. Les revenus des 10 % les moins bien rémunérés passent de 735 à 809 euros, soit 10 % de plus. La moitié des individus vivent avec 1 500 euros si l’on considère l’ensemble des revenus, contre 1 300 euros d’après les données précédentes.

Jusqu’à présent l’Insee ne comptabilisait que environ 20 % des revenus financiers, excluant notamment les revenus exonérés d’impôts, les Plans d’épargne en action (PEA) et les contrats d’assurance-vie. L’institut n’évaluait pas l’avantage de ceux qui ne paient pas de loyer, alors qu’il incluait, par exemple, les allocations logement. Il faut bien prendre en considération qu’il s’agit de données pour une personne et non pour un ménage. Pour obtenir le niveau de vie d’un couple par exemple, selon l’Insee, il faut multiplier par 1,5.

Niveau de vie , pour un individu
par mois
Unité : euros
Niveau de vie
Niveau de vie tenant compte des loyers imputés (1)
Niveau de vie incluant les revenus du patrimoine financier (2)
Niveau de vie incluant les revenus du patrimoine financier et les loyers imputés
10% touchent moins de735789757809
50% touchent moins de1 2901 4231 3471 482
90% touchent moins de2 3312 6062 5602 802
95% touchent moins de2 8983 1993 1873 486
(1) loyers imputés : évaluation du revenu supplémentaire dont disposent les propriétaires (2) revenus du patrimoine financier : action, obligation, etc.
Source : Insee - France portrait social 2007 - 2005

Ces données sont riches d’enseignements.

 Tout d’abord sur la faible importance accordée en France à la connaissance des revenus, partagée à droite et à gauche. Cette question est centrale, mais laisse indifférents médias, chercheurs et classe politique (hormis quelques exceptions). Une démocratie peut-elle se passer de la connaissance des revenus ? Il aura fallu attendre 11 années afin d’obtenir ces données. Une telle situation est impensable dans un pays comme les Etats-Unis, beaucoup plus inégalitaire, mais aussi plus soucieux de la liberté d’information. La méconnaissance des données a un avantage : elle permet à chacun d’avoir raison en même temps, en évitant un débat informé. Elle laisse place à une rhétorique bien française.

 En pratique, l’ensemble de la population est plus riche qu’on ne le disait. On entre dans la pauvreté à partir de 750 euros si l’on considère comme pauvre celui qui touche la moitié du revenu médian. Et si l’on considère le seuil de richesse comme le double du revenu médian, il se situe à 3 000 euros pour un individu (4 500 pour un couple selon l’Insee). On a donc aussi sous-estimé le seuil de la richesse.

 Les inégalités sont plus élevées que ce qui était affiché auparavant. Entre les 10 % les plus pauvres et les 5 % les plus riches, il n’y a pas 2 160 euros d’écart par personne mais 2 680 euros, et non un multiple de 1 à 3,94 mais de 1 à 4,30.

 Ces données constituent une avancée notable, mais on est loin de tout savoir. On ne dispose pas des éléments sur les 1 % les plus riches. De même, les revenus des professions indépendantes sont très mal connus et sous-estimés.

 L’information la plus pertinente manque encore : connaître la façon dont ces revenus ont évolué dans le temps. Comme le note l’Insee, dans les années récentes les revenus financiers ont progressé beaucoup plus vite que la moyenne. Ceux-ci sont essentiellement détenus par les catégories les plus aisées. Conséquence : alors que l’Insee continue à estimer que les inégalités de revenus sont stables, il est de plus en plus clair qu’elles progressent (voir sur les hauts revenus les travaux de Camille Landais).

 Il ne s’agit pas d’une « explosion » des inégalités en France, mais d’un changement de tendance marqué, d’autant plus fort que l’on se trouve en haut de la hiérarchie. Ce mouvement est accompagné par les pouvoirs publics depuis 2000 via les baisses d’impôts.


[1Le niveau de vie est calculé à partir de déclarations d’impôt. Il comprend les revenus déclarés, en déduit les impôts directs et ajoute les prestations sociales. Il est calculé pour un individu et non pour un ménage (qui peut comprendre plusieurs individus).

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Date de première rédaction le 15 novembre 2007.
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