Entretien

« La ségrégation ethnique à l’école reste un sujet tabou », entretien avec Georges Felouzis, sociologue

La ségrégation ethnique existe bel et bien à l’école. Georges Felouzis, professeur de sociologie à l’université de Bordeaux II, fait ce constat et avance des solutions pour y remédier, dans un entretien accordé à La Revue des Parents.

Publié le 13 avril 2006

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Éducation Origines

Pourquoi avoir choisi le thème de la ségrégation ethnique comme sujet d’étude ?

C’est un sujet encore assez tabou dans l’Éducation nationale. Or, on constate un fort décalage sur ce thème entre la vision officielle de l’école et la perception que les acteurs sociaux du système éducatif ont sur le terrain.

Comment avez-vous travaillé ?

Nous avons étudié l’ensemble des enfants scolarisés au collège dans l’académie de Bordeaux, soit 144 000 élèves, en partant des données du rectorat. Pour construire un indicateur nous permettant d’accéder aux élèves étrangers et issus de l’immigration, nous avons pris en compte deux éléments significatifs : la nationalité et le prénom de l’enfant.

Avez-vous constaté une ségrégation ethnique ?

Oui. Elle est même plus forte que la ségrégation scolaire ou sociale. Dans certaines zones urbaines, il faudrait que 80 % des élèves issus de l’immigration changent d’établissement pour que la situation corresponde à une répartition moyenne. Autre observation : 10 % des établissements scolarisent 40 % des élèves originaires d’Afrique noire, du Maghreb et de Turquie. Le fait que l’académie de Bordeaux ne soit pas l’une de celles où l’on trouve le plus d’enfants issus de l’immigration montre en outre la force de ce phénomène.

Quelles en sont les causes ?

D’abord la ségrégation urbaine. Sectorisés, les collèges reflètent en général l’environnement dans lequel ils se trouvent. Cela se perçoit à l’œil nu, mais notre étude en montre l’ampleur. Deuxième cause : le contournement de la carte scolaire par un certain nombre de parents. Phénomène nouveau, il ne s’agit pas seulement de parents de milieux sociaux favorisés, mais aussi de classes moyennes et populaires. Ces parents investissent dans l’école, conscients que si leurs enfants ne réussissent pas leurs études, ils auront plus de difficultés ensuite. Eux-mêmes se sentant exclus, ils choisissent de faire des efforts pour scolariser leurs enfants dans des établissements qu’ils jugent meilleurs.

Quelles sont les conséquences de cette ségrégation ?

Les élèves étrangers ou issus de l’immigration ont tendance à construire leur identité autour de l’ethnicité. Ils se créent une identité ethnique, d’ailleurs plus ou moins réelle, contradictoire avec la mission de l’école, qui est d’identifier à la nation. Ces enfants sont confrontés à une sorte de paradoxe. D’un côté, on leur dit qu’ils ne doivent pas s’identifier aux communautarismes et, en même temps, ils vivent dans des contextes scolaires et urbains où on les considère comme issus de l’immigration avant de les considérer comme Français.
On constate aussi dans ces établissements « ségrégués » que les enfants réussissent moins leurs apprentissages. Pas spécifiquement parce qu’ils sont victimes d’une ségrégation ethnique, mais parce que l’on assiste à un cumul des inégalités. Les plus ségrégués ethniquement le sont aussi socialement et scolairement.

Que peut-on faire ?

Le premier chantier serait, au niveau local, d’avoir un chef d’orchestre qui coordonnerait les différents acteurs des politiques locales d’éducation : le rectorat, l’inspection académique, les collectivités locales... Aujourd’hui, on est face à chaque fois à plusieurs politiques locales d’éducation. Cela rend encore plus compliquée la mise en œuvre d’une réforme du dessin de la carte scolaire, qui est déjà quelque chose de complexe.
Le deuxième chantier, peut-être plus concret, serait de pratiquer une sorte de discrimination positive sur les établissements les plus ségrégués. C’est un peu la même idée que les ZEP mais en plus ciblé : donner beaucoup de moyens aux établissements qui sont vraiment les plus défavorisés, de manière à les rendre plus attractifs. Le problème, c’est que pour tenter de remédier à cette réalité, il faut déjà la reconnaître !

Pourquoi avoir titré votre livre « L’Apartheid » scolaire ? Il ne s’agit tout de même pas d’une politique systématique et volontaire de ségrégation...

Bien sûr, mais nous avons choisi ce mot fort pour montrer qu’il y a urgence, pour alerter. Dans les faits, il y a une ségrégation, les enfants issus de l’immigration sont mis à l’écart. Et c’est un phénomène qui remet en cause les fondements mêmes de notre société.

Georges Felouzis, professeur de sociologie à l’université Bordeaux-2, dirige le Laboratoire d’analyse des problèmes sociaux et de l’action collective (Lapsac).

Propos recueillis par Bruno Quattrone, extraits de La Revue des Parents n°243 du 16 décembre 2005, avec les aimables autorisations de l’auteur et du magazine.

Photo / © Drivepix - Fotolia.com

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Date de première rédaction le 13 avril 2006.
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