Proposition

Refonder enfin l’école

Moderniser les contenus, favoriser la mixité sociale, apporter davantage d’aide au sein de la classe aux élèves en difficulté : contre les inégalités, l’école peut mieux faire. Par Marie Duru-Bellat, sociologue, chercheuse à l’Observatoire sociologique du changement et à l’Institut de recherche en Éducation.

Publié le 29 août 2016

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Éducation Catégories sociales Système scolaire

Les parcours scolaires constituent un enjeu capital, tout spécialement dans notre pays, dès lors que les diplômes régissent l’accès aux professions et sont donc le vecteur d’une possible mobilité sociale. Dans une société où tant les positions de départ (les familles des élèves) que les positions d’arrivée (visées pour les enfants) sont inégales, réaliser une véritable égalité des parcours reste un challenge. Pour esquisser quelques pistes d’action possibles, il faut partir des principaux mécanismes par lesquels se mettent en place les inégalités sociales de parcours scolaires.

Des inégalités d’acquisition précoces

Dès l’entrée en cours préparatoire, l’avantage des enfants de milieu favorisé est net dans les compétences qui vont être mobilisées dans l’apprentissage de la lecture (reconnaissance des lettres, maîtrise des concepts liés au temps…), parce que ces capacités ont fait l’objet d’apprentissages familiaux largement informels. Ces inégalités découlent non seulement de la diversité des pratiques éducatives des familles et de leur impact sur le développement cognitif et langagier de l’enfant, mais aussi des conditions matérielles de vie ; ainsi le surpeuplement du logement affecte significativement les difficultés scolaires.

Pour contrer ces inégalités sociales précoces qui plombent tout le cursus ultérieur, deux grandes directions doivent être suivies. La première concerne les familles : si tous les enfants pouvaient grandir dans des environnements familiaux d’égale qualité, la tâche de l’école serait bien plus facile. La seconde est du ressort de l’école : c’est sa responsabilité que de tout faire pour éradiquer les difficultés d’apprentissage dès qu’elles se présentent. Elle doit expérimenter les dispositifs qui fonctionnent chez nos voisins européens, avec notamment des aides individualisées apportées par les maîtres, sans se décharger sur des spécialistes extérieurs (comme les associations ou les personnels paramédicaux), et une vigoureuse politique de discrimination positive qui irait au-delà de la politique actuelle d’éducation prioritaire.

Le rôle des programmes

Au collège, alors que les élèves entrent en sixième avec des niveaux inégaux selon leur origine sociale, les plus forts progressent davantage que les plus faibles ; dans la mesure où les élèves de milieu populaire abordent le collège avec un niveau plus faible, les inégalités sociales s’en trouvent creusées, avec, de plus, des notations-sanctions qui les enfoncent davantage. Ceci résulte pour une part du contenu des programmes, largement hérités, malgré des évolutions significatives, d’une époque où seule une frange socialement triée d’élèves accédait au secondaire. Il faut donc aussi repenser ces programmes.

De plus, même si le système éducatif français se présente comme juste parce qu’il offrirait à tous les élèves des contenus et des conditions de travail identiques, on sait aujourd’hui que l’on apprend plus ou moins bien selon les contextes (les maîtres, les écoles). Ces effets du contexte scolaire renforcent les inégalités sociales : les établissements « performants » (qui font le plus progresser leurs élèves) sont plus souvent, en moyenne, ceux qui accueillent un public de milieu aisé, et les élèves progressent d’autant plus qu’ils fréquentent un établissement dont le public est favorisé socialement. La composition du public des classes est également influente et par là, la façon dont les chefs d’établissement les composent, avec parfois des classes de niveaux, bien que cela soit officiellement interdit. Or la constitution de classes hiérarchisées scolairement et, du même coup socialement, a des incidences sur les progressions des collégiens : les plus faibles « gagnent » à fréquenter une classe hétérogène, alors qu’à l’inverse, les plus forts y perdent. Même si ce que gagnent les faibles est environ deux fois plus important que ce que perdent les forts, les parents des seconds peuvent donc être réticents face à une politique de mixité sociale et scolaire. L’un des enjeux d’une vraie réforme de l’école est de combattre ces réticences, ce qui demande une volonté politique forte.

Enfin, l’offre scolaire elle-même est souvent de qualité inégale. En particulier, les professeurs les moins expérimentés sont concentrés dans les zones les plus défavorisées. De plus, les enseignants modulent les pratiques pédagogiques en fonction du niveau des élèves : dans les écoles favorisées, la culture et les normes de conduite des élèves étant plus proches des attentes de l’institution, les enseignants peuvent être plus exigeants et mieux couvrir les programmes. À l’inverse, dans les établissements populaires, la couverture des programmes est moins complète et les tâches de maintien de l’ordre empiètent alors sur le temps disponible pour les activités d’enseignement. Les enseignants y développent de plus des attentes moins élevées, et ont tendance à sous-estimer le niveau des enfants de milieu populaire.

Au final, sur ces deux paramètres clés de l’efficacité pédagogique que sont la gestion des contenus et du temps d’une part, les attentes d’autre part, l’environnement éducatif prévalant en milieu populaire est souvent moins favorable. Mais ce n’est pas inéluctable : mélanger davantage les publics éradiquerait ces classes ghettos particulièrement difficiles et inefficaces, et gérer l’hétérogénéité des classes devrait faire partie de la formation de tous les enseignants. Enfin, il faut trouver les moyens d’affecter des enseignants particulièrement expérimentés dans les établissements les plus défavorisés : c’est là un levier capital pour égaliser la qualité de l’offre scolaire.

L’anticipation d’une société inégale

Dans une société inégale, les parents sont inégalement dotés pour faire bénéficier leurs enfants des conditions d’enseignement qu’ils jugent les plus favorables, depuis les choix d’options ou d’orientation jusqu’à celui de l’établissement. Tant au niveau du lycée que dans l’enseignement supérieur, l’autosélection est omniprésente : à niveau scolaire comparable, les orientations les plus exigeantes (qui sont aussi les plus rentables sur le marché du travail) sont le fait des élèves les plus favorisés socialement, que ceci s’explique par un meilleur niveau d’information ou une confiance en soi plus marquée. Mieux informer les élèves sur les filières et rendre les itinéraires plus lisibles, encourager les moins favorisés à tenter leur chance et prévoir des « secondes chances » sont autant de nécessités.

Dans un contexte de concurrence croissante, les enfants d’enseignants et de cadres se concentrent de plus en plus sur la filière élitiste des classes préparatoires aux grandes écoles, qui est restée à l’écart de la relative démocratisation de l’enseignement supérieur. Alors que la probabilité d’être diplômé d’une grande école varie de 0,43 % pour les fils d’ouvriers agricoles à 21,5 % pour les fils d’enseignants, démocratiser ce sommet de la pyramide s’avère difficile, entre des inégalités qui s’accumulent depuis l’école primaire et des écoles qui veulent préserver leur rareté, perçue comme gage de leur excellence, avec à la clé une (future) élite bien peu représentative de l’ensemble de la population. Il faut aller vers un caractère moins décisif des diplômes dans les embauches, dans le secteur public comme dans le secteur privé, et il est urgent de développer les secondes chances via la formation continue.

Avec néanmoins un butoir : les individus s’insèrent dans une société où des « places » sont définies, et si l’école est un moyen relativement efficace pour atteindre les meilleures places, la définition des places (et le niveau des inégalités) n’est pas fondamentalement de son ressort. Néanmoins, si le rôle de l’école en matière d’inégalités sociales est fortement cadré par l’ensemble du contexte social, il n’est pas pour autant sans importance : les comparaisons internationales montrent que les inégalités sociales d’acquis entre élèves sont d’ampleur variable selon les pays, et que ceci n’est pas directement proportionnel aux inégalités sociales qui y existent.

Il faut donc examiner, en rejetant ce fatalisme qui nous caractérise souvent, les modes d’organisation des systèmes et de formation des enseignants qui s’avèrent mieux à même d’assurer aux élèves des acquis relativement homogènes, en d’autres termes pondérer la vision d’une école au fonctionnement verrouillé par les inégalités sociales prévalant dans la société.

Marie Duru-Bellat
Auteure de nombreux ouvrages sur l’école et notamment de 10 Propositions pour changer d’école, avec François Dubet (Le Seuil, 2015).

Ce texte est un extrait de l’ouvrage « Que faire contre les inégalités ? 30 experts s’engagent », sous la direction de Louis Maurin et Nina Schmidt, édition de l’Observatoire des inégalités, juin 2016, 120 p., 7,50 €.

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Date de première rédaction le 29 août 2016.
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