Analyse

Que faire contre les inégalités ? Testez notre évaluateur des dépenses publiques

Que faire contre les inégalités ? Mesurez les solutions concrètes avec notre évaluateur des dépenses publiques. Des crèches au logement social en passant par la sécurité, beaucoup aurait pu être fait à la place des 46 milliards perdus dans le « pacte de responsabilité ».

Publié le 29 avril 2016

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Revenus

Réduire les inégalités n’est pas une question de moyens financiers mais de volonté politique. La preuve : le gouvernement a choisi d’utiliser 46 milliards d’euros par an à réduire les prélèvements (via le « pacte de responsabilité ») plutôt que de répondre à des besoins concrets. Soyons pragmatiques : des places de crèche aux commissariats de quartier, en passant par les logements sociaux ou un revenu minimum pour les jeunes, le champ des possibles est immense avec tant d’argent. L’outil de l’Observatoire des inégalités vous permet, très concrètement, d’évaluer le coût de mesures qui pourraient contribuer à moderniser notre pays et à réduire les tensions sociales.

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Avec 46 milliards d’euros, il était possible de répondre à des besoins concrets

Les 46 milliards de baisse de prélèvements par an (à partir de 2017) auraient permis d’accorder, par exemple, un minimum social de 500 euros par mois à 200 000 jeunes (1,2 milliard), de rénover et construire chaque année 100 000 logements sociaux (trois milliards), d’ouvrir 200 000 places de crèche supplémentaires pour quatre milliards d’euros, de créer 300 commissariats dans les quartiers sensibles pour environ un milliard d’euros, d’allouer un chèque autonomie de 500 euros mensuels à 500 000 personnes âgées démunies (trois milliards), de créer 200 000 emplois d’aide éducative en milieu scolaire (cinq milliards), de proposer un chèque loisirs-culture de 350 euros par an à 14 millions de jeunes de moins de 20 ans (4,8 milliards), de créer 200 000 emplois d’utilité publique par an (quatre milliards), de rendre accessibles les bâtiments publics aux personnes à mobilité réduite (deux milliards pour une année), ou encore de rénover 6 000 places de prison par an (un milliard). Pour plus de détails, le lecteur peut se reporter à notre note méthodologique.

Cet inventaire à la Prévert a un côté absurde. Il ne s’agira jamais de faire tout cela en même temps, même si potentiellement, ce serait envisageable. Il montre simplement l’univers des possibles. Nous aurions aussi pu allonger la liste des urgences. Chiffrer des écoles de la deuxième chance, des murs anti-bruit, des financements pour les énergies renouvelables, des bourses pour les étudiants, des tablettes numériques pour les écoliers, le remboursement de certains soins coûteux comme les prothèses dentaires, etc.

Parmi toutes ces mesures (dont nous avons largement surestimé les coûts) proposées dans notre outil, rares sont celles qui ne dépassent pas le clivage politique gauche/droite si l’on sort des postures prises par les uns ou les autres. Toutes ou presque sont considérées comme des urgences. Les deux bords politiques reconnaissent que nos prisons sont dans un état indigne, que l’on manque de policiers dans les cités où le trafic de drogue se développe, qu’une partie des personnes âgées aux faibles revenus finissent leur vie dans des conditions indignes.

Nous avons délibérément limité nos mesures aux besoins sociaux de la population. Nous aurions pu aussi envisager un volet destiné au soutien des entreprises à la création d’emplois. Par exemple un fonds de dix milliards d’euros par an destiné à soutenir la recherche, le développement, ou les nouvelles technologies. Pourquoi pas, pour encourager l’envie d’entreprendre, un fonds de garantie pour la création d’entreprise ? Améliorer la couverture sociale des non salariés ? L’impact serait bien plus fort que la réduction de cotisations sociales, qui va aussi bien nourrir les multinationales aux profits conséquents que les PME en difficultés.

Malheureusement, depuis des années, les gouvernements ont plus souvent suivi la voie d’une idéologie économique conservatrice et écouté les sondages, qu’ils n’ont cherché à comprendre les besoins concrets de leur population et à y répondre [1]. Notre « Évaluateur des dépenses publiques » est destiné à susciter un débat sur les services publics et leurs rôles, sur les besoins collectifs. Ce qui frappe avant tout, c’est l’absence de réflexion collective sur ce sujet, remplacée par une logique comptable qui part de l’a priori idéologique (médiatiquement entretenu) que les prélèvements sont trop élevés en France. Nombreux sont ceux qui intègrent l’idée que l’État n’a plus d’argent dans les caisses, alors qu’en même temps, il se prive d’une somme qui représente l’équivalent du budget de l’enseignement primaire et secondaire.

Des emplois utiles pour beaucoup moins cher

L’argument mis en avant par les partisans de la baisse des cotisations des entreprises est la création d’emplois, la contrepartie du « pacte de responsabilité ». Selon Valérie Rabault, rapporteure socialiste du budget, les mesures de baisse de prélèvements auraient pour effet de créer 190 000 emplois à l’horizon 2017. 40 des 46,6 milliards prévus sont destinés aux entreprises. Chaque emploi coûterait donc 216 000 euros, soit un salaire de 18 000 euros par mois, environ 9 000 euros nets sans les cotisations patronales et salariales [2]. Même si l’effet était deux ou trois fois plus important, la dépense n’aurait aucun sens.

Heureusement, le coût net ne sera pas si élevé. Ces emplois entraînent de l’activité, donc des recettes fiscales. Le chiffrage n’a de sens qu’en comparaison avec d’autres options en matière de création d’emplois. Par exemple, subventionner 200 0000 emplois associatifs à hauteur de 20 000 euros annuels par emploi (beaucoup d’associations en créent avec bien moins) dans l’humanitaire, l’environnement, l’action caritative, la culture, le soutien scolaire ou dans d’autres domaines jugés d’utilité publique, coûterait quatre milliards, moins de dix fois le manque à gagner du pacte de responsabilité. Dans notre « Évaluateur des dépenses publiques », nos 200 000 emplois d’aide éducative coûtent cinq milliards. Et eux aussi entraînent de l’activité, donc un coût net bien moins grand. La comparaison est sans appel.

L’impact des baisses de dépenses
Le gouvernement prévoit 50 milliards de baisses de dépenses par an d’ici 2017. L’impact économique de cette décision dépend du type de dépenses. S’il s’agit de prestations sociales comme les allocations logement, qui bénéficient en grande partie aux plus modestes (beaucoup sont versées sous conditions de ressources), l’effet est fortement et rapidement négatif. Si elles concernent les commandes publiques, l’effet va se répercuter sur l’activité des entreprises privées prestataires de services aux collectivités. Si l’on réduit le nombre de fonctionnaires, il y aura une conséquence directe sur le nombre d’emplois global, un impact sur la croissance (les salaires de ces derniers alimentent l’activité économique du pays), mais aussi sur les services rendus (moins de sécurité dans les rues, plus d’élèves par classe, etc.). Au total, selon les prévisions du ministère des Finances, citées par la rapporteure du budget, le plan de réduction des dépenses de 50 milliards devrait détruire 250 000 emplois à l’horizon 2017.

Pour autant, dépenser pour dépenser n’a pas plus de sens que la réduction des prélèvements. Ce n’est pas l’effort budgétaire lui-même qui est en cause. L’endettement et le niveau considérable du déficit public [3] ne sont pas les seules ni même les principales raisons pour lesquelles il faut réduire les dépenses. Celles-ci sont prélevées dans le porte-monnaie de chaque citoyen, qui ne peut l’accepter que si elles servent l’intérêt général et si elles ont une utilité sociale démontrée. La réduction des dépenses inutiles (chasse aux niches fiscales et à la fraude, services publics en doublon, coûts surévalués des commandes publiques, dépenses militaires, etc.) doit permettre de répondre à des nouveaux besoins, en modernisant l’action de l’État.
Combien vont coûter les baisses d’impôts ?
Le coût des baisses de prélèvements, 46,6 milliards d’euros, est un montant annuel, une fois que toutes les mesures entrent en activité, c’est-à-dire en 2017. Contrairement à ce que beaucoup pensent, il ne s’agit pas d’un montant à étaler sur quatre années, de 2014 à 2017. Une baisse de cotisations entraîne un coût supplémentaire une année donnée qui se maintient l’année suivante, sauf à revenir en arrière en augmentant à nouveau les taux. 11,6 milliards de pertes de recettes étaient prévues dès 2014, 29 milliards en 2015 et 40 milliards en 2016. De 2014 à 2017, la collectivité aura perdu 128 milliards d’euros (la somme cumulée de chaque année).

Économiquement, le coût pour la collectivité n’est pas aussi élevé. Les diminutions de prélèvements vont accroître l’activité, ce qui va faire entrer de l’argent dans les caisses de l’État. Le coût réel dépend de ce que les économistes appellent l’effet « multiplicateur ». Le coût brut n’a d’intérêt qu’en comparaison des dépenses qui auraient pu être effectuées à la place, qui elles aussi auraient un impact, dont nous donnons quelques exemples dans notre outil. Du point de vue de la conjoncture, les économistes s’accordent pour dire qu’une hausse de dépenses a un effet supérieur à une baisse de prélèvements, dont une partie est directement épargnée. A long terme, la différence se fait dans la nature des activités. Une dépense publique doit répondre à un besoin collectif réel, sinon elle stérilise une partie de la croissance économique.

A lire sur notre site :

Pacte de responsabilité : une faute historique pour la gauche

Pourquoi la gauche doit augmenter les impôts

La « crise » ou l’art d’échapper à la solidarité

Photo / © Fauxjeton via Wikimedia Commons


[1Ce n’est pas toujours le cas, comme l’ont montré par exemple la mise en place de la couverture maladie universelle ou le renouvellement urbain en matière de logement.

[2Chiffre obtenu en divisant le coût de la baisse des charges, 40 milliards par an en 2017 par 190 000 emplois créés.

[3Le montant du déficit public est de 88 milliards d’euros et la dette de 1,9 milliard, selon l’Insee. Chaque année la collectivité verse l’équivalent de 40 milliards de frais d’intérêts pour rembourser sa dette.

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Date de première rédaction le 21 août 2015.
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