Point de vue

30 milliards d’euros de baisses de cotisations : ce que l’on pourrait faire à la place

Que faire avec 30 milliards d’euros ? Le gouvernement a choisi d’aider les entreprises à réduire leurs cotisations sociales. Il aurait pu en être autrement. Quelques exemples concrets.

Publié le 16 janvier 2014

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Revenus Emploi
Nouvelles données au 16/2/2014 : nous intégrons désormais les dépenses de retraite dans notre tableau

Le Président de la République a annoncé, lors de ses voeux à la presse du 14 janvier, que le gouvernement allait réduire de 30 milliards d’ici 2017 les cotisations familiales versées par les entreprises et donc alléger leurs charges. Cette somme colossale ne veut rien dire pour la majorité de la population. Nous vous proposons un chiffrage très simple de ce qui aurait pu être fait en matière de services publics, si l’exécutif en avait décidé autrement. Et si, par exemple, il avait augmenté les dépenses au lieu de réduire les recettes, ce qui revient au même [1]. Le gouvernement aurait pu ainsi multiplier par 1,4 (ce qui revient à une hausse de 40 %) le budget de l’enseignement ou par deux celui de la recherche, par 2,6 les dépenses consacrées aux forces de sécurité ou 4,8 celles pour la justice.

Avec 30 milliards d'euros, on aurait pu multiplier le budget par...
Le budget de la mission
Budget 2014 en milliards d'euros
1,4 foisEnseignement primaire et secondaire65
1,8 foisDéfense38,9
2 foisRecherche et enseignement supérieur31,3
3,2 foisSolidarité, insertion et égalité des chances13,9
2,6 foisPolice18,2
3,7 foisTravail et emploi11,1
4,7 foisEgalité des territoires, logement et ville8,1
4,1 foisEcologie, développement et aménagement9,7
4,8 foisJustice7,8
11,1 foisAnciens combattants3,0
10,4 foisAgriculture3,2
11,3 foisAide publique au développement2,9
11,2 foisAffaires étrangères2,9
12,6 foisCulture2,6
15,6 foisOutre-mer2,1
24,2 foisSanté1,3
38,0 foisMédias, livres et industries culturelles0,8
46,5 foisImmigration, asile et intégration0,7
55,5 foisSport, jeunesse et vie associative0,6
Principaux budgets. Comprend les retraites versées. Multiplier par 1,4 équivaut à augmenter de 40 %.
Source : calculs Observatoire des inégaltiés, d'après ministère de l'Economie

Bien entendu, ce calcul totalement théorique n’a aucun sens pratique. Multiplier par deux le budget de la Défense ou par six celui de la Justice n’aurait aucun intérêt. Dépenser pour dépenser est absurde, il reste nécessaire d’économiser l’argent public. Ce chiffrage permet simplement de comprendre les ordres de grandeur. A chacun de faire son choix. On peut imaginer l’impact économique, social et au final politique d’une hausse de 20 % du budget de la recherche et de 50 % des forces de sécurité et des moyens au service de l’environnement. On aurait pu aussi utiliser ces 30 milliards pour réduire le déficit public (ce qui en représenterait 40 %), et permettrait de réduire la masse des intérêts versés par l’État.

On peut considérer les choses de façon encore plus opérationnelle. Voici le coût de quelques mesures qui auraient pu être prises pour une addition totale d’environ 30 milliards :

 Embaucher 100 000 enseignants pour réduire le nombre d’élèves par classe et moderniser l’école = 4,5 milliards d’euros.
 Verser un minimum social aux 1,1 million de 18-24 ans en situation de pauvreté = 6 milliards.
 Créer 250 000 emplois jeunes : 4 milliards.
 Construire 70 000 logements sociaux en Ile-de-France : 12,6 milliards.
 Verser une allocation mensuelle de 70 euros à toutes les familles ayant un enfant : 3 milliards.

Chacune de ces mesures est discutable. On peut y préférer des places en crèche, un meilleur remboursement des prothèses dentaires ou des lunettes, la rénovation des prisons, les transports en commun ou encore l’amélioration de l’accueil des personnes âgées démunies, etc. La liste est longue des domaines qui font l’objet d’un relatif consensus dans notre société sur la nécessité d’agir. A chacun de choisir en fonction de la valeur qu’il accorde à ces besoins.

Il faut mesurer l’impact social qu’un tel programme de modernisation de l’action publique aurait, en répondant à des besoins sociaux majeurs. De son côté, le plan proposé par le gouvernement est censé créer des emplois et donc réduire le chômage. L’impact de la baisse des charges déjà décidée par le gouvernement - le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) [2], d’un coût de 20 milliards - a été évalué par l’OFCE à 150 000 emplois qui pourraient être créés d’ici 2018 soit une baisse du taux de chômage de 0,6 point. Soit pas moins de 130 000 euros dépensés par poste de travail créé.

Quel impact a une baisse de prélèvements ou une hausse des dépenses publiques ?
Les évaluations reposent en fait sur des hypothèses très fragiles sur le comportement des acteurs économiques et la croissance mondiale... Aucun emploi ne sera créé si les carnets de commandes des entreprises restent vides, quel que soit le coût du travail... Une grande partie de l’équation tient dans le mode de financement.

En situation de fort déficit et de croissance lente, il n’y a que deux solutions pour dépenser plus ou baisser les cotisations : augmenter d’autres impôts ou réduire d’autres dépenses [3]. Le crédit d’impôt actuel (le CICE) est financé essentiellement par les consommateurs par le biais de la TVA, et donc pèse sur le revenu de tous les ménages, y compris sur celui des plus démunis. C’est la façon la plus inégalitaire de procéder et aussi celle qui va avoir l’impact le plus négatif sur la consommation. On aurait pu imaginer jouer sur l’impôt proportionnel (la CSG) qui porte sur l’ensemble du revenu, ou l’impôt progressif sur le revenu, dont le taux augmente avec les ressources.

L’impact d’une baisse des dépenses dépend aussi du type de dépense réduite. S’il s’agit de prestations sociales, qui bénéficient en grande partie aux plus modestes (beaucoup sont versées sous conditions de ressources), l’impact économique est fortement négatif. S’il s’agit de diminuer les investissements publics : cela signifie moins de commandes pour les entreprises et cela a un impact à long terme sur les structures économiques. Il faut noter que le montant total (en incluant l’État et les collectivités locales) de l’investissement public est de 60 milliards d’euros. Enfin, réduire de façon drastique le nombre de fonctionnaires aurait une conséquence directe sur le nombre d’emplois global, un impact sur la croissance (les salaires des ces derniers alimentent l’activité) mais aussi sur les services rendus (moins de sécurité dans les rues, plus d’élèves par classe, etc.) ce qui a aussi un impact économique au final.

Photo / © Gina Sanders - Fotolia.com


[1Pas tout à fait en réalité, car l’effet économique n’est pas similaire. Une hausse de dépenses relance davantage l’activité qu’une baisse de recettes.

[2En fait, la nouvelle mesure sera un ajout de 10 milliards au CICE.

[3Même s’il n’est pas besoin de financer l’ensemble de la baisse des recettes ou de la hausse des dépenses, car l’une comme l’autre a un effet de relance de l’activité économique, et donc va augmenter à terme les recettes fiscales. Les économistes appellent cela un effet « multiplicateur », plus élevé pour une augmentation de dépense publique qu’une baisse d’impôt (en partie épargnée).

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Date de première rédaction le 16 janvier 2014.
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