Analyse

Les territoires très dépendants des ressources sociales

Les territoires les plus dépendants des ressources sociales ne sont pas forcément les plus pauvres. Les politiques publiques doivent prendre en compte la diversité des composantes propres à chaque territoire. Une analyse de Philippe Estèbe, directeur de l’IHEDATE. Extrait de Alternatives Economiques Poche.

Publié le 19 juillet 2011

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Les territoires dont les revenus dépendent le plus des prestations sociales sont de plusieurs types. Parmi eux, on trouve en effet des territoires désindustrialisés situés dans le Nord ou l’Est, des territoires méditerranéens marqués par la précarité de l’emploi saisonnier, ainsi que des territoires du Sud-Ouest mêlant ces deux caractéristiques.

Allocations chômage, minimum vieillesse, revenu de solidarité active, prestations familiales, allocations logement, remboursements de sécurité sociale…, toutes ces prestations qui relèvent de la solidarité nationale et des différents systèmes d’assurance collective (chômage, vieillesse, famille) constituent en moyenne 22 % des revenus des Français. Quelques territoires, particulièrement en difficulté, montrent une « surdépendance » importante vis-à-vis de ces revenus sociaux. On atteint ainsi une proportion de 33 % des revenus dans la zone d’emploi de Longwy, 32,5 % dans celle de Marseille-Aubagne, 32 % à Lens-Hénin ou encore 31 % dans le Valenciennois… C’est le cas également, quoique dans une moindre mesure, dans sept autres zones d’emploi du Nord-Pas-de-Calais ou de Picardie, mais aussi dans de nombreux endroits du Languedoc-Roussillon ou du « Grand Midi toulousain » et, au-delà, le long de la Garonne.

Cette cartographie recoupe, sans surprise, largement celle du taux de pauvreté. Elle fait apparaître trois grands espaces : le Nord et le Nord-Est, le Sud méditerranéen et le Sud-Ouest. Du point de vue social et économique, la situation de ces territoires relève cependant de processus distincts.

Une pauvreté enracinée dans le Nord-Est

Dans le Nord et l’Est, la prévalence des revenus sociaux provient de la persistance d’un chômage élevé dans des régions qui peinent à trouver un deuxième souffle après la désindustrialisation et la fin de l’exploitation minière. La population pauvre est enracinée dans le territoire, car fréquemment propriétaire de son logement (acquis auprès de la compagnie minière), ce qui explique sa faible mobilité. Le vieillissement de la population et le poids des personnes âgées à faible niveau de revenus accentuent l’impact des prestations sociales dans ces territoires.

Sur la côte méditerranéenne, en revanche, les revenus sociaux sont élevés, comme le taux de pauvreté, mais dans un contexte de très forte mobilité. Ici, les ménages pauvres ne sont pas enracinés dans leur région, au contraire ! L’Hérault, par exemple, accueille plus de 800 nouveaux habitants par mois. De même, si le taux de chômage est élevé, la durée de chômage est généralement courte. Ces territoires sont des espaces de transition, où des chômeurs peuvent assez facilement trouver du travail - même si celui-ci est précaire, peu qualifié et de courte durée. Cela s’explique par la forte dynamique démographique, qui crée en permanence de nouveaux besoins et donc de nouveaux emplois, principalement dans le domaine des services à la personne.

Il existe cependant des exceptions à cette situation de « pauvreté dynamique » sur la façade méditerranéenne. Marseille-Aubagne ou Alès-La Grand-Combe (ancien bassin houiller des Cévennes) présentent des traits qui les rapprochent des zones d’emploi du Nord-Est : difficulté à rebondir sur un héritage économique très déprimé, population enracinée et vieillissante, faible attractivité et faible mobilité…

Poids des ressources sociales dans les zones d’emploi en 2006, en %

Des territoires en attente de nouvelles perspectives

Quant aux zones d’emploi du Sud-Ouest, elles cumulent une forte présence de populations précaires liée au dynamisme économique, et un enracinement des situations de pauvreté de longue durée, dans des bassins d’emploi industriels très déprimés, comme ceux de Carmaux, Castres-Mazamet, Graulhet, la haute vallée de l’Aude ou encore Lavelanet en Ariège. Mais l’équation est bien différente de celle du Languedoc-Roussillon : dans ces territoires, certaines activités industrielles sont reprises, modernisées ou transformées par des actifs qualifiés récemment arrivés ; en parallèle, l’économie locale évolue pour intégrer les activités touristiques et les loisirs, auparavant peu développés.

L’autre situation type concerne les zones d’emploi de la vallée de la Garonne : Montauban, Agen, Marmande, La Réole. Ici, c’est la conjonction d’une agriculture productrice de précarité du fait des emplois saisonniers et d’un faible taux de renouvellement de la population qui explique l’importance des revenus sociaux. Relativement à l’écart des grands itinéraires de revenus ou de capitaux, ces zones sont en attente de nouvelles perspectives de développement. Ces territoires n’ont pas tous réagi de la même manière à la crise économique. Les plus frappés par les pertes d’emplois et le chômage sont encore les anciens bassins industriels, où les traces qui subsistaient d’activités productives ont subi à nouveau un choc brutal. En revanche, les autres territoires, notamment ceux du grand Sud (pauvreté dynamique et pauvreté rurale), s’en sont plutôt bien sortis jusqu’ici.

La comparaison de ces situations territoriales montre qu’un même indicateur peut désigner des logiques et des comportements bien différents. Aussi faut-il comprendre le contexte dans lequel ils se déploient : ce n’est pas la même chose d’être pauvre, précaire ou chômeur à Lens, Sedan, Marseille, Montpellier, Castres ou Marmande. Les stratégies d’action publique doivent prendre en compte cette diversité pour trouver les voies d’une sortie par le haut.

Philippe Estèbe, directeur de l’Institut des hautes études de développement et d’aménagement des territoires en Europe (IHEDATE).

Article extrait de Alternatives Economiques Poche n° 050 - juin 2011.

Photo / © Gilles Paire - Fotolia.com

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Date de première rédaction le 19 juillet 2011.
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