Analyse

Les riches, toujours plus riches

Depuis trente ans, les revenus des plus fortunés ont grimpé dans les pays industrialisés. Ces inégalités sont très inégalement corrigées selon les pays. L’analyse de Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités. Extrait du hors-série « L’état de la mondialisation », d’Alternatives Internationales.

Publié le 20 janvier 2011

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Revenus Riches

Les riches sont doublement heureux. Ils vivent bien mieux que les autres, et leurs revenus progressent encore plus vite. Alors que les démocraties occidentales affichent leur goût pour l’égalité entre citoyens, du côté des revenus la situation se dégrade. Aux Etats-Unis, les 1% les plus aisés recevaient 9% du revenu national au milieu des années 1970. En 2006, ils en percevaient 23%. En France, la proportion est passée de 7,7% à 9% entre 1995 et 2006.

Alors qu’elle s’était réduite de façon sensible après la crise de 1929, la part des plus riches dans le revenu national des pays occidentaux s’est remise à augmenter à partir des années 1970 aux Etats-Unis et une décennie plus tard en Europe. Au Royaume-Uni, le phénomène est perceptible au tout début des années 1980. Il est observé à partir de 1985 en Suède et à la fin des années 1980 en France. Dans la plus vaste étude jamais réalisée sur le sujet, les économistes Tony Atkinson, Thomas Piketty et Emmanuel Saez notent que, parmi les seize pays les plus riches, les seuls où la part du revenu détenue par les 1% les plus riches n’augmente pas - Suisse, Allemagne et Pays-Bas - sont ceux pour lesquels les données sur la période récente ne sont pas disponibles… Même l’OCDE - peu soupçonnable d’antilibéralisme et qui a consacré un rapport conséquent à cette question - constate une « intensification des inégalités », « assez générale et significative ». L’ampleur du phénomène est cependant extrêmement variable d’un pays à l’autre (voir graphique ci-dessous).

Evolution de la part des 1 % les plus riches dans le revenu global, en %

Tab 1

Bal des baisses d’impôt.

Cette hausse des inégalités résulte d’une conjonction de facteurs. Les politiques de libéralisation de l’économie ont joué un rôle important. Les politiques de baisse d’impôt, entre autres nourries par la concurrence fiscale que se livrent la plupart des pays riches, ont élevé le niveau de vie des couches les plus aisées. Aux Etats-Unis, sous la présidence de Ronald Reagan, les inégalités font un bond : entre 1981 et 1989, la part des 1% les plus riches est passée de 10% à 14,5% de l’ensemble des revenus. Pour autant, ce mouvement n’est pas corrélé avec la couleur politique des gouvernements : en France, c’est le gouvernement de Lionel Jospin qui, en 1997, ouvre le bal des baisses d’impôt à grande échelle.

Le retour en force de l’idéologie libérale n’est cependant qu’un élément parmi d’autres. Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, la remontée des inégalités s’amorce avant même l’arrivée au pouvoir des gouvernements néoconservateurs de Ronald Reagan (1981) et de Margaret Thatcher (1979), qui affichent ouvertement leur volonté de déréglementer l’économie et leur indifférence aux écarts de revenus.

D’autres phénomènes ont pesé, à commencer par le ralentissement mondial de la croissance après le premier choc pétrolier (1973). Les moins qualifiés ont été les premiers touchés, même si le choc a été amorti là où les systèmes de protection sociale sont les plus développés, dans le Nord de l’Europe, en Allemagne et en France notamment. Au-delà du volume d’emploi, les transformations structurelles de l’économie liées au progrès technique et au processus de mondialisation ont joué : c’est aussi à ce moment que l’industrie décline et que les services se développent. Ces derniers emploient une main-d’œuvre de plus en plus féminine, éparpillée dans des établissements de taille réduite que les syndicats peinent à toucher. Au sein des entreprises, l’individualisation a fait son chemin dans ce contexte de chômage. Les parcours professionnels, les rémunérations sont de moins en moins régulés collectivement. Dans le face-à-face entre patron et employé, les plus diplômés sont bien mieux armés dans la négociation de leurs salaires et avantages. Tout en haut de la pyramide, les « superstars » surfent sur la vague, profitant de la mise en place d’un marché mondial des cadres de très haut niveau.

Inégalité et endogamie.

Des facteurs sociaux et démographiques ont aussi pesé dans la balance. La montée du nombre des séparations et de jeunes adultes vivant seuls a réduit le niveau de vie moyen des ménages. Le nombre de familles monoparentales démunies a fortement progressé. L’élévation du taux d’activité féminin a réduit les inégalités de revenu entre hommes et femmes, mais il a eu un effet rarement décrit d’augmentation des inégalités entre les couples, dans la mesure où ceux-ci se forment le plus souvent entre milieux sociaux semblables : un haut revenu s’additionne généralement à un haut revenu, non à un revenu modeste. L’OCDE estime ainsi que ces facteurs démographiques expliquent environ 20% de la hausse totale des écarts de revenus.

Même si les inégalités augmentent peu ou prou partout, les situations de chaque pays restent très différentes. Sans équivoque, les pays nordiques se distinguent du lot en matière de prélèvement et de redistribution de la richesse nationale (voir graphique ci-dessous). Après prestations sociales, l’indice de Gini (voir ci-dessous) y est inférieur de 40% par rapport à la situation avant prestations, indique l’OCDE. La France, dont la fiscalité est plutôt moins redistributive qu’ailleurs mais où les prestations sociales restent importantes (allocation logement, allocations familiales, minimas sociaux, etc.), se situe juste derrière le peloton de tête, mais loin devant des pays comme la Corée du Sud, les Etats-Unis ou le Japon, qui ferment la marche du fait de systèmes de prélèvements et de prestations peu développés.

Effet sur les inégalités de revenus des impôts et des transferts publics

(Variation de l’indice de Gini, données au milieu des années 2000)

Tab 2
L’art difficile de la mesure des inégalités
La comparaison internationale des inégalités de revenu est un exercice complexe. Chaque pays a en effet ses propres méthodes de comptage, via les déclarations d’impôt ou les enquêtes auprès des ménages.

Pour mesurer les inégalités, il existe trois sortes d’outils. Le premier mesure la part du revenu global détenue par telle ou telle catégorie de population. Le deuxième mesure l’écart entre le revenu des plus riches et celui des plus pauvres : soit en faisant le rapport (les inégalités relatives), soit la différence (inégalités absolues). Ces deux premières méthodes n’observent que certains points de la distribution des revenus.

Pour essayer de saisir les inégalités dans leur ensemble, on utilise des indicateurs dits « synthétiques », et notamment l’indice de Gini. Il compare la situation des inégalités de revenus dans un pays pour toutes les tranches à une situation d’égalité ou d’inégalité parfaite. Plus il est proche de 1 (situation où un individu possède tous les revenus), plus le pays est inégalitaire ; plus il est proche de 0 (tous les individus gagnent la même chose), plus le pays est égalitaire.

L’enrichissement des plus riches va-t-il se poursuivre ? Les inégalités ont peu de chances de se réduire tant que la situation structurelle ne changera pas, notamment tant que le marché du travail ne s’améliorera pas de façon forte et durable… De ce point de vue, la crise économique qui, associée aux baisses d’impôt antérieures, a poussé les finances publiques de bon nombre de pays au bord de l’asphyxie, peut faire craindre le pire. L’heure est aujourd’hui à la réforme fiscale et à la recherche de recettes pour limiter des niveaux de déficits et d’endettement devenus vertigineux. La façon dont seront prélevés demain ces nouveaux impôts aura un rôle déterminant sur le niveau des inégalités.

Louis Maurin

Cet article est extrait du hors-série « L’état de la mondialisation » du magazine Alternatives Internationales, n°8, décembre 2010.

Pour en savoir plus

 « Top Incomes in the Long Run of History », Tony Atkinson, Thomas Piketty et Emmanuel Saez, Journal of Economic Literature, janvier 2010 : une vaste étude sur l’évolution de la part du revenu détenu par les plus riches.

 « Croissance et inégalités. Distribution des revenus et pauvreté dans les pays de l’OCDE », OCDE, 2008 : le seul véritable document de synthèse sur le sujet.

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Date de première rédaction le 20 janvier 2011.
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