Point de vue

Santé : il faut sortir de la « boucle des inégalités » !

Les populations les plus précaires conjuguent inégalités sociales et inégalités d’accès aux soins, augmentant leurs problèmes de santé. Il est temps de redéfinir un système de santé solidaire. Un point de vue de David Belliard, journaliste à Alternatives Economiques, et Alix Béranger, experte pour la Fondation de France et Solidarité Sida.

Publié le 9 juillet 2010

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Les inégalités sociales et environnementales sont largement occultées des débats sur la santé, centrés sur le déficit de la sécurité sociale et le soi-disant montant insoutenable des dépenses de soins. Usages excessifs de médicaments et de consultations, utilisation abusive des dispositifs de soins quand ce ne sont pas les fraudes qui sont pointées du doigt, tout est bon pour faire des malades les coupables de « l’emballement irresponsable » de la consommation de soins en France. La réalité est évidemment bien plus complexe.

Certes, en France, comme dans tous les pays de l’OCDE, les dépenses de santé ont fortement augmenté ces dernières années, passant de 9,5 % du PIB en 2001 à près de 11% en 2009. Si la tendance se confirme, elles devraient représenter 16 % du PIB en 2040. L’utilisation de médicaments issus de la biotechnologie, très chers, la plus grande technicité des appareils médicaux, les dépassements d’honoraires pratiqués par les médecins, ou encore l’exigence collective d’une société qui se rêve dispensée des contingences de la maladie expliquent pour une large part ce phénomène.

A cette liste s’ajoute l’aggravation des inégalités sociales et environnementales, qui pèsent très fortement sur notre système de santé et accentuent les inégalités de soins. Ainsi, les enfants issus de familles défavorisées souffrent plus que les autres d’une alimentation trop sucrée, trop salée et pas assez équilibrée. Particulièrement réceptifs aux messages publicitaires de l’industrie agro-alimentaire, ils ne bénéficient que d’une offre réduite à des produits de mauvaise qualité nutritionnelle. Résultat : ils ont trois fois plus de risque d’être obèses que les enfants issus de familles gagnant plus de 5300 euros par mois [1].

Ce cas illustre crûment l’articulation entre inégalités sociales et environnementales, et vient s’ajouter aux nombreux exemples qui montrent qu’ouvriers et employés sont plus exposés aux risques professionnels que les autres catégories professionnelles, tandis que leurs enfants ont 17 fois plus de risques de souffrir de caries non soignées que ceux des cadres. Cette articulation entre inégalités sociales et environnementales répond aux inégalités d’accès aux soins dans un cercle vicieux que nous avons qualifié de « boucle des inégalités ». Cette dynamique s’appuie sur une logique simple : plus une population est socialement fragile, pas ou peu intégrée sur le marché du travail, plus la probabilité qu’elle soit fortement exposée à des risques environnementaux est forte, et plus elle a des difficultés pour accéder au système de soins, et notamment à la médecine de ville (médecins libéraux, généralistes ou spécialistes, dentistes, etc). Preuve en est la multiplication des renoncements aux soins. En 2007, 12 % des personnes gagnant moins de 2 500 euros par mois avaient connu cette situation [2].

Ces inégalités dans l’accès aux soins ont au moins deux conséquences majeures. D’une part, elles accentuent la dégradation de l’état général de santé de toute la population. C’est particulièrement vrai dans le domaine de la lutte contre les maladies infectieuses comme le VIH/sida. Dans ce cas précis, l’exclusion des dispositifs de prévention, de dépistage et de soins d’une part de la population augmente fortement le risque de propagation de l’épidémie dans la population générale.

D’autre part, l’accroissement des inégalités accélère le transfert sur l’hôpital d’une partie des soins qui auraient pu être pris en charge par des médecins en ville, nettement moins coûteux pour l’assurance maladie [3].

Ce phénomène est d’autant plus courant que la prise en charge hospitalière reste encore très bien remboursée par l’assurance maladie (95 % du total des coûts), ce qui n’est plus le cas pour la médecine de ville (65 % seulement) [4]. Les urgences hospitalières sont ainsi devenues en quelques années le dernier recours pour des individus qui ne peuvent aller nulle part ailleurs.

Cette situation souligne tout autant les carences des campagnes de prévention que l’accentuation de pathologies liées à l’appauvrissement et aux discriminations dont est victime une partie de la population. L’impact économique pour notre système de soins est loin d’être négligeable. Alors qu’une analyse économique à courte vue pourrait laisser penser que les difficultés d’accès aux soins permettent de diminuer les dépenses de santé, c’est en effet tout l’inverse qui se produit.

Sortir de la boucle des inégalités constitue donc une priorité. Toutes les propositions allant dans ce sens, telles qu’améliorer l’accès aux soins courants, à la prévention et à l’éducation ou encore impliquer des représentants de la société civile dans la gouvernance des dispositifs de santé, doivent impérativement être intégrées à un projet alternatif à celui qui vise la seule taxation des malades. Mais plus que cela, les débats sur la santé appellent une interrogation plus large sur les systèmes économiques et politiques actuels qui alimentent la boucle des inégalités et déforment les mécanismes de solidarité collective. Cette situation appelle l’implication de toutes celles et de tous ceux, associatifs, usagers, professions médicales, chercheurs, citoyens, qui souhaitent construire un nouveau projet de santé. C’est à cette condition que des propositions pourront alimenter les débats pour les prochaines échéances électorales, avec l’objectif de redessiner les contours d’un système de santé solidaire.

David Belliard, journaliste à Alternatives Economiques, et Alix Béranger, experte pour la Fondation de France et Solidarité Sida, sont co-auteurs de Nous ne sommes pas coupables d’être malades, éditions les petits matins. Voir la page sur Facebook.

Photo / © Steve Cukrov - Fotolia.com


[1Enquête Obépi-Roche 2006. Voir notre article Obésité et milieux sociaux

[2L’état de santé de la population en France - Indicateurs associés à la loi relative à la politique de santé publique - Rapport 2007

[3Le rapport 2007 de l’observatoire de l’accès aux soins de la mission France de Médecins du monde, qui donne des éléments statistiques sur les populations précaires prises en charge par les centres de Médecins du monde en France, souligne par exemple que la couverture vaccinale chez ce type de patients est extrêmement faible (de l’ordre de 35 % environ), augmentant considérablement le risque que des maladies se développent

[4Cinquante-cinq années de dépenses de santé. Une rétropolation de 1950 à 2005, Etudes et résultats, n°572, mai 2007.

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Date de première rédaction le 9 juillet 2010.
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