Point de vue

Imposer les riches, mais lesquels ?

Qui est considéré comme riche en France ? Une définition du seuil s’impose si l’on décide d’imposer davantage les hauts revenus. Le point de vue de Thibault Gajdos (CNRS). Extrait de Le Monde Economie.

Publié le 31 mai 2010

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Revenus

En considérant que, en ces temps de rigueur, les plus riches devraient davantage contribuer à l’effort collectif - fût-ce au prix d’un aménagement du bouclier fiscal -, la majorité gouvernementale reconnaît que le système fiscal actuel est injuste. Reste à savoir à quel degré. La question du seuil à partir duquel un contribuable est considéré comme riche est à cet égard cruciale. Si l’on retient un seuil très élevé, le gouvernement pourra se contenter d’une réforme a minima. Si l’on retient un seuil plus modeste, en revanche, il faudra repenser tout le système.

Le seuil de la richesse dépend de la structure de la distribution des revenus dans la société. Selon Hervé Mariton, député de la majorité, un cadre moyen percevrait un salaire net de 5 000 euros, ce qui suggère que le seuil devrait se situer largement au-dessus de ce montant. Cette estimation est confirmée par le ministre du budget, François Baroin, qui évalue ce seuil autour de 10 000 euros. Mais ces informations sont si imprécises qu’il est difficile d’en tirer des conclusions.

En fait, M. Mariton se trompe. Le salaire moyen net annuel des cadres du secteur privé et semi-public était, en 2007, de 4 000 euros. Mais, surtout, cette moyenne ne veut pas dire grand-chose, tant les revenus des cadres sont dispersés : la moitié d’entre eux percevaient, en 2007, moins de 3 200 euros par mois, tandis que 10 % avaient un salaire net supérieur à 6 300 euros [1].

A la décharge du député, il n’est pas le seul à avoir une vision biaisée de la hiérarchie des salaires. Deux sociologues, Michel Forsé et Maxime Parodi, ont exploité les résultats d’une enquête internationale menée en 1999 sur les inégalités [2]. Ils observent deux phénomènes : d’une part, les individus interrogés ont tendance à s’attribuer une position plus médiane qu’elle ne l’est réellement dans la pyramide sociale ; d’autre part, les riches tendent à surestimer les revenus des plus pauvres, tandis que ces derniers sous-estiment les revenus des plus riches. C’est de cet effet d’optique que relève l’erreur de M. Mariton.

Le risque est donc réel de voir une question essentielle ensevelie sous des préjugés statistiques. Mais il est très simple d’y remédier. Il faut tenir compte de l’ensemble des ressources et de la composition des ménages, et pas seulement des salaires. On divise le total des revenus perçus par le nombre d’unités de consommation du ménage : le premier adulte compte pour une unité de consommation, chaque adulte supplémentaire pour 0,5 unité, et les enfants de moins de 14 ans pour 0,3. On obtient ainsi un revenu par unité de consommation.

En 2007, 1 % des ménages disposaient d’un revenu mensuel par unité de consommation supérieur à 7 000 euros [3]. Ce qui correspond à un couple de cadres gagnant chacun 5 300 euros net par mois. Cela donne un ordre de grandeur d’un seuil de la richesse - nettement moins, donc, que 10 000 euros. Or ces hauts revenus sont modérément imposés (de l’ordre de 20 %, hors contribution sociale généralisée, CSG et contribution au remboursement de la dette sociale, CRDS) et ils ont bénéficié d’une croissance de leur revenu deux fois supérieure à celle des autres ménages entre 1998 et 2006 [4]. Il reste donc de confortables marges pour rendre plus juste la contribution des hauts revenus à l’effort collectif.

Un ajustement modéré - par exemple sous la forme d’une contribution exceptionnelle des ménages percevant plus de 10 000 euros mensuels par unité de consommation - relèverait donc davantage d’une diversion qu’autre chose. Seule une réforme profonde serait de nature à restaurer l’équité et la confiance indispensables à un système fiscal démocratique.

Thibault Gajdos, CNRS. Extrait de Le Monde Economie du 01.06.10.

Photo / © Jérôme SALORT - Fotolia.com


[1Les Salaires en France, Insee, 2010

[2Perception des inégalités économiques et sentiment de justice sociale", Revue n°102 de l’OFCE, 2007

[4Camille Landais, « Top Incomes in France : Booming Inequalities ? », document de travail, Ecole d’économie de Paris, 2008

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Date de première rédaction le 31 mai 2010.
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