Point de vue

Des grandes écoles pour enfants fortunés

Pour suivre les enseignements des filières dites d’« excellence », il faut avoir des parents qui financent. Du moins, c’est ce qu’en disent ces écoles comme le montre l’exemple de la Fémis pour le cinéma. Le point de vue de Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités.

Publié le 7 janvier 2010

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« L’enseignement à la Fémis [école nationale supérieure des métiers de l’image et du son] est à temps plein, il n’est donc guère possible de travailler parallèlement à ses études (notamment à mi-temps). De petits boulots [l’expression est celle du document administratif...] sont envisageables éventuellement le week-end. Nous invitons les candidats à s’assurer de leurs moyens financiers en cas de succès au concours ». Vos parents ne peuvent pas vous financer vos études ? Comme le montre ce texte qui figure dans le document de présentation du concours d’entrée à la Fémis, les écoles les plus prestigieuses du système scolaire français, privé comme public, ne veulent pas vraiment de vous. Les études sont si denses qu’il est impossible de financer son parcours en travaillant en parallèle, des assouplissements étant très rarement prévus [1]. Une situation riche d’enseignements.

 Ceux « qui ne peuvent s’assurer de leurs moyens financiers » devraient donc passer leur chemin. Comme on est rarement riche seul à l’âge de 20 ans, cette phrase signifie que les enfants dont les parents ne peuvent pas financer les études (notamment pour tous les provinciaux qui ne peuvent financer un logement parisien) sont exclus de ce type d’enseignement. La sélection des élites scolaires repose dans les premières années de scolarité surtout sur le niveau de diplôme des parents, mais aussi, de plus en plus au fil des cursus, de leurs ressources économiques. Pas seulement pour ceux qui peuvent se payer des cours privés. La Fémis n’est qu’un exemple parmi de très nombreux autres des écoles en France où il est impossible de mener de front scolarité et une activité rémunérée, même à temps partiel. La quasi-totalité des grandes écoles et de leurs classes préparatoires sont dans ce cas, ce qui constitue l’un des éléments clé de la sélection sociale.

 La Fémis – qui dépend du ministère de la Culture - indique que l’école peut attribuer des bourses sur critères sociaux d’un montant équivalent à celui du ministère de l’éducation nationale. Tout le monde sait, et notamment depuis la remise du rapport de Laurent Wauquiez que ces bourses sont insuffisantes pour les plus démunis compte tenu du coût de la vie à Paris ou dans les grandes villes, et que les familles des classes moyennes n’y ont pas accès. Il est vrai que ce niveau ne dépend pas des écoles elles-mêmes, mais rien n’interdit d’assouplir les enseignements, par exemple de permettre un étalement sur une durée plus longue pour les étudiants salariés. Dans tous les cas, les bourses ne règlent jamais la question des enfants des couches moyennes, voire de ceux plus favorisés qui ne souhaitent plus dépendre de leurs parents.

 L’hypocrisie va bien au-delà. Ces écoles ne cessent de revendiquer leur ouverture. C’est le cas de la Fémis : « nous sommes pourtant très attentifs à ce qu’elle reste ouverte à tous et en particulier à des élèves de toutes origines sociales. La Fémis est en effet une école publique et appartient donc par principe à tous » écrit l’école. (…) « nul ne doit s’interdire de penser à faire ses études à La Fémis en raison de son origine sociale - alors que c’est peut être encore le cas ». Avec la Fondation Culture et diversité [2], l’établissement a mis en place des « ateliers de l’égalité » pour favoriser l’entrée de quelques élèves des zones d’éducation prioritaires. Une politique pratiquée dans de plus en plus d’établissements élitistes, suivant en cela l’exemple de l’Institut d’études politiques de Paris qui, il y a plusieurs années, a mis en place un concours d’entrée parallèle. Elle a le mérite de poser la question de l’ouverture sociale, mais constitue surtout une façon de faire de la communication autour de l’égalité des chances, d’afficher sa bonne volonté sans avoir à mettre en place des réformes structurelles permettant en pratique une réelle ouverture du recrutement social. Les « ateliers de l’égalité » de la Fémis ne permettront en rien au bon élève de ZEP de financer par la suite son cursus… si ses parents n’en ont pas les moyens, il devra suivre à la lettre l’avertissement de l’école et renoncer à postuler…

 Cette situation ne résulte pas d’un clivage politique : la plupart des défenseurs de « l’élitisme républicain » appartiennent à la gauche de l’échiquier politique. Une grande partie des élites culturelles, du cinéma au monde de l’éducation en général, se situe à gauche. Ceux-ci savent pertinemment que quelques places réservées à une poignée d’élèves issus de quelques territoires les plus défavorisés ne règlent en rien la question de l’ouverture sociale [3]. Il faut remarquer au passage que la très grande majorité des élèves de milieux populaires et des couches moyennes ne sont pas scolarisés en ZEP. Toute une communication se développe avec des moyens considérables autour de « l’égalité » ou de la « diversité » sans profiler des changements de fond.

 Cette situation a des répercussions très concrètes sur la formation des élites françaises [4] et par voie de conséquence sur le pays tout entier. C’est ainsi que les directions des entreprises, les hautes sphères de la politique ou des médias sont peuplées d’enfants de parents qui y appartenaient déjà, et de plus en plus. C’est donc aussi très souvent le cas des réalisateurs et du monde dirigeant du cinéma, ce qui ne peut être sans conséquence sur le fonctionnement de l’entreprise, de la politique, des médias… ou de l’orientation des films français.

 Comment faire quand on est jeune et que l’on sait que ses parents ne suivront pas ? Passer outre ce type d’avertissement et postuler autant que c’est possible, tout en sachant que la suite sera particulièrement difficile. Ensuite, il faudra déployer bien entendu des efforts bien plus importants que les autres élèves pour mener une carrière scolaire et professionnelle notamment. Un phénomène que connaissent bien les populations défavorisées, mais aussi tous ceux qui font l’objet de discriminations, les minorités « visibles » (pour ne pas dire les « Noirs » et les personne originaires du Maghreb principalement) ou les femmes notamment. Enfin, même si en France le diplôme pèse d’un poids démesuré, il existe encore heureusement d’autres voies de réussite que celle de l’école républicaine. Daniel Hamidou (alias Dany Boon), réalisateur de « Bienvenue chez les ch’tis » en est le meilleur contre-exemple dans le domaine du cinéma. Son père chauffeur routier aurait sans doute eu bien du mal à lui payer des études à la Fémis.

Article initialement publié le 29 mai 2008 et révisé le 7 janvier 2010.

Source photo : vancouverfilmschool


[1Au passage, la Fémis facture 126 euros le droit de passer le concours, somme « en aucun cas remboursée » (c’est l’école qui insiste)

[2De la holding financière Fimalac de Marc Ladreit de Lacharrière

[3Voir Démocratisation de Siences-Po : « attention aux fausses solutions », Hervé Baro, Antoine Colombani, Perrine Corcuff et Georges Dupon-Lahitte, Le Monde, 4 avril 2001

[4Pour aller plus loin sur la sélection sociale à l’entrée des grandes écoles : Les inégalités sociales d’accès aux grandes écoles (Insee)

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Date de première rédaction le 7 janvier 2010.
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