Entretien

« Les classes moyennes se sentent menacées par le chômage », entretien avec Régis Bigot, du Crédoc

Comment les différentes couches sociales perçoivent-elles leurs conditions de vie ? Régis Bigot, directeur adjoint du département « conditions de vie aspirations des Français » du Crédoc dévoile les premiers éléments d’une étude sur le sujet.

Publié le 14 décembre 2007

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- Quels sont les éléments sur lesquels on assiste à une convergence entre catégories sociales ?

Cette étude montre effectivement, dans certains cas, une relative convergence des modes de vie entre les hauts revenus, les bas revenus et les « classes moyennes » depuis 25 ans. C’est vrai pour quelques biens d’équipement tels que la télévision, le magnétoscope ou le téléphone mobile. Pour l’ordinateur et Internet, en revanche, le « fossé numérique » reste encore important entre les différentes catégories de revenu. On assiste également à une certaine démocratisation des pratiques culturelles depuis le début des années 1980, les Français étant par exemple de plus en plus nombreux à fréquenter les bibliothèques ou les salles de cinéma. Convergence encore en matière de relations sociales : recevoir des amis ou des relations chez soi était plutôt l’apanage des hauts revenus au début des années 1980, c’est aujourd’hui une pratique beaucoup plus répandue.

- Quels sont les éléments sur lesquels on diverge de plus en plus ?

D’autres éléments témoignent plutôt une divergence entre le haut et le bas de l’échelle des revenus. En matière de logement, par exemple, les « classes moyennes » éprouvent de plus en plus de difficultés à devenir propriétaire depuis le milieu des années 1990 ; la situation des bas revenus s’est dégradée encore plus franchement (parmi les 20% de la population percevant les plus bas revenus, seule une personne sur trois est aujourd’hui propriétaire de son logement, contre une sur deux en 1992) ; dans le même temps, le taux d’accès à la propriété est passé de 65 à 70% chez les hauts revenus.

Corrélativement, les inégalités de patrimoine ont cru fortement depuis 25 ans, à la fois en matière de produits financiers (portefeuille d’actions, placements d’épargne liquide, assurance-vie) ou de biens fonciers ou immobiliers : les hauts revenus ont ainsi vu leur situation nettement s’améliorer, tandis que les bas revenus n’ont pas pu profiter des augmentations de prix de l’immobilier ou de l’appréciation des valeurs mobilières.

Ces évolutions s’accompagnent d’un malaise grandissant parmi les « classes moyennes » et les bas revenus, qui ont l’impression, depuis 25 ans, que leur niveau de vie s’est dégradé. Ces groupes expriment, tout au long de la période 1980-2007, un fort sentiment de restrictions budgétaires, tandis que les hauts revenus sont de moins en moins nombreux à ressentir les contraintes financières. Enfin, des divergences se font jour en matière de santé : depuis la fin des années 1990, les bas revenus, ainsi que les « classes moyennes », ont de plus en plus souvent l’impression que leur état de santé s’est dégradé ; les bas revenus déclarent d’ailleurs de plus en plus souvent souffrir d’insomnies, d’état dépressif ou de maux de tête ; chez les hauts revenus, ces souffrances déclarées ont tendance à diminuer au cours du temps.

- Est-ce qu’il y a une singularité des « classes moyennes » ?

Une des spécificités des « classes moyennes » réside dans l’ambivalence de leurs aspirations : avec, d’un côté, l’espoir de s’élever dans la hiérarchie sociale — ce qui était plus souvent possible au cours des Trente Glorieuses lorsque la croissance économique était très élevée ; et, de l’autre côté, la peur du déclassement : près des trois quarts des « classes moyennes » craignent aujourd’hui que leurs enfants n’atteignent pas un niveau de vie aussi élevé que le leur. Même si, en moyenne, ces catégories de la population sont moins touchées par la précarité de l’emploi que ne le sont les bas revenus, elles se montrent plus inquiètes face à la la trappe du chômage.

Propos recueillis par Louis Maurin

Les principaux tableaux de l’enquête

La population est répartie en trois groupes, les bas revenus (20 % les moins aisés), les « classes moyennes » (à partir des 20 % les moins aisés jusqu’aux 20 % les plus aisés) et les « hauts revenus » (à partir des 20 % les plus aisés). Il détaille l’appréciation de ces groupes sur leurs conditions de vie au cours d’un quart de siècle. Il ne s’agit pas de l’évolution objective, mais le sentiment qu’en ont eu ces groupes, qui peut être plus ou moins proche de la réalité suivant les questions posées. Les réponses sont édifiantes.

Proportion d’individus déclarant être au chômage ou sans emploi
champ : ensemble des actifs, en %

Proportion d’individus déclarant s’imposer régulièrement des restrictions
sur un ou plusieurs postes de leur budget

champ : ensemble de la population, en %

Proportion d’individus propriétaires de leur logement (ou accédants à la propriété)
champ : ensemble de la population, en %

Proportion d’individus déclarant que leurs dépenses de logement constituent une « lourde charge » ou une « très lourde charge »
Champ : ensemble de la population, en %

Proportion d’individus disposant des actifs patrimoniaux suivants :
Champ : ensemble de la population, en %

Aller au théâtre, au spectacle ou au musée
Taux de fréquentation dans l ’année, en %

Perception de son état de santé
Proportion d’individus qui déclarent que leur état de santé n’est pas satisfaisant par rapport aux personnes de leur âge, en %

La crainte du déclassement pour ses enfants
Proportion d’individus partageant l’opinion selon laquelle « il est probable que nos enfants auront demain un niveau de vie inférieur au nôtre », en %

Source de l’ensemble des tableaux : CREDOC, enquêtes sur les « Conditions de vie et les Aspirations des Français »

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Date de première rédaction le 14 décembre 2007.
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