Analyse

Budget et consommation : ce qui distingue les classes sociales

Cadres et ouvriers ont des budgets différents, en montant et dans leur composition. Ces écarts permettent de comprendre où se niche la distinction sociale. On saisit aussi les effets différenciés de l’inflation. Une analyse extraite du Centre d’observation de la société.

Publié le 28 mars 2023

https://www.inegalites.fr/depenses-selon-la-categorie-sociale - Reproduction interdite

Modes de vie Catégories sociales Consommation

Chaque année, un ménage français dépense 27 400 euros en moyenne, soit 2 300 par mois, selon l’enquête sur le budget des familles réalisée par l’Insee en 2017. Quand les cadres disposent de 3 600 euros mensuels à dépenser, les ouvriers n’ont que 2 000 euros par ménage.

L’étude de la composition des dépenses est riche d’enseignements sur les modes de vie. Elle permet aussi de mieux comprendre l’impact de l’inflation aujourd’hui.

Les postes qui occupent une place plus importante chez les ouvriers

Les biens de base constituent une part plus importante du budget des catégories les moins favorisées. Le poste « alimentation et boissons non alcoolisées » est – en proportion de leur budget –plus élevé chez les ouvriers que chez les cadres supérieurs (16,4 % contre 13,5 %). Ces derniers peuvent s’offrir de la nourriture de qualité supérieure, plus chère (des produits bios, par exemple), mais ne mangent pas dix fois par jour : leur budget alimentation plafonne donc, rapporté à leur revenu. Idem pour les dépenses de logement (18,4 % pour les ouvriers et 13,4 % pour les cadres) : nul besoin de multiplier les cuisines ou les salles de bain. Ces postes n’augmentent pas au rythme du niveau de vie : les cadres dépensent bien sûr un montant plus important que les ouvriers mais cela représente un pourcentage plus faible de leurs ressources.

Le détail des postes de consommation dessine les singularités des modes de vie. En matière d’alimentation par exemple, le budget « viande bovine » des cadres est supérieur à celui des ouvriers, mais ces derniers dépensent davantage pour le porc. Le prix de ces denrées n’est pas le même. Alors que les cadres ont un budget global supérieur de 30 % aux ouvriers pour l’alimentation, ils dépensent deux fois plus pour les légumes frais et le poisson. Inversement, les ouvriers, même avec des revenus très inférieurs, dépensent plus en valeur absolue (en euros) que les cadres en boissons gazeuses ou en margarine. La façon de manger reste socialement marquée : c’est une question de moyens, mais aussi d’habitudes de vie, qui diffèrent selon les milieux sociaux [1].

Le poste « tabac et boissons alcoolisées » est le seul grand poste où les ouvriers dépensent davantage en euros que les cadres, malgré leurs revenus nettement inférieurs. La différence n’est pas considérable (100 euros annuels) mais elle se rapporte à un budget bien moindre que celui de l’alimentation. Là aussi, les détails du poste sont parlants. La consommation de tabac (300 euros de plus par an pour les ouvriers) creuse l’écart. Côté alcool, les cadres surclassent les ouvriers pour les vins et champagnes, les ouvriers les dépassent pour les alcools forts et la bière. On retrouve à la fois l’effet des prix (notamment pour les vins), du rapport au corps et des habitudes de vie des catégories sociales.

En matière de logement, les cadres dépensent davantage en loyers et en charges en valeur absolue (1 350 euros de plus par an), même si, on l’a vu, cela représente une part inférieure de leurs revenus. Ces différences de dépenses traduisent des écarts en matière de surface et de qualité des logements. Deux éléments limitent l’ampleur des inégalités : les logements sociaux offrent à une partie des ouvriers des loyers réduits, et les cadres dépensent plus pour se loger dans les quartiers privilégiés.

Enfin, le poste « communications » est plus élevé en pourcentage chez les ouvriers que chez les cadres (3,4 % du budget contre 2,1 %), en grande partie parce qu’il s’agit d’abonnements à frais fixes, que l’on ne peut pas faire varier. Les deux catégories sociales sont quasiment autant équipées en téléphones portables et Internet et supportent des frais relativement semblables (900 euros par an pour les cadres, 820 euros pour les ouvriers).

Les budgets qui se ressemblent

Le poste « santé » (1,7 %) est équivalent pour les deux catégories sociales, ce qui représente 380 euros de plus par an pour les cadres. Une petite moitié de ces dépenses supplémentaires vient des médicaments non remboursés, l’autre de la consultation de médecins ou de dentistes. Les plus aisés ne consomment pas des quantités supérieures de médicaments en proportion de leurs revenus. Ils fréquentent plus souvent les médecins, et en particulier ceux qui pratiquent des dépassements d’honoraires. La France est l’un des pays où l’accès aux soins est le plus largement répandu, mais des écarts entre catégories sociales se logent dans la qualité et l’accessibilité rapide aux soins, ainsi que dans les pratiques de prévention.

Même équivalence pour le budget « transports » (environ 17 %), mais l’importance de ce poste fait que les cadres y consacrent bien davantage en montant que les ouvriers (7 200 euros par an contre 4 300 euros). La seule ligne « achat d’automobile » représente 7 % du budget total des cadres et des ouvriers. C’est surtout le type de véhicule qui fait la différence, les deux catégories dépensent quasiment autant en carburant, environ 1 300 euros. Ce qui explique l’impact des hausses de prix en bas de l’échelle des revenus.

L’attention portée au corps par les cadres supérieurs se retrouve dans les dépenses d’habillement, mais aussi de coiffeur, d’appareils et de produits de soin.

Cadres et ouvriers consacrent aussi une part équivalente de leur budget pour l’habillement et les chaussures, un peu plus de 5 %. Cela signifie que les premiers dépensent 1 100 euros de plus par an dans ce domaine. Chaque année, les cadres consacrent l’équivalent de deux mois de smic à leur garde-robe. Malgré l’essor du prêt-à-porter à partir des années 1970, le type de tenue, de marques, la façon même de porter les vêtements distinguent toujours les univers sociaux.

La rubrique « divers » est un fourre-tout qui va des bijoux à la coupe de cheveux, en passant par les assurances. Elle atteint 15 % du total des dépenses. L’attention portée au corps par les cadres supérieurs se retrouve dans les dépenses de coiffeur, d’appareils et de produits de soins personnels. Les cadres dépensent aussi davantage en matière de services (garde d’enfants ou aide aux personnes âgées) et en assurances. Pour ce dernier point, les frais fixes, comme l’assurance logement ou auto, pèsent sur le budget des ouvriers.

Les postes pour lesquels les cadres dépensent plus

Les ouvriers consacrent davantage aux biens de base, les cadres aux biens les moins essentiels. En matière d’éducation, le budget consacré par les ménages reste faible en France grâce à sa prise en charge par les services publics : 1,3 % pour les dépenses des cadres et 0,5 % pour celles des ouvriers. Tout de même, les cadres y consacrent en moyenne 475 euros de plus par an. Du fait des frais d’inscription dans le supérieur, où les ouvriers sont beaucoup moins représentés (ou en sont parfois exonérés), mais aussi du fait des dépenses pour les cours particuliers ou l’enseignement privé.

On touche ici au cœur de la distinction sociale

Les cadres dépensent 3 000 euros de plus par an que les ouvriers dans le domaine des loisirs et de la culture. Ce poste représente 11,3 % et 7,9 % du total de leur budget respectif. Les cadres achètent des équipements plus onéreux, sortent et lisent beaucoup plus. Ce poste comprend un sous-ensemble « voyages organisés » qui représente à lui seul un quart de l’écart total entre cadres et ouvriers. Un niveau de revenus supérieur permet d’avoir accès à des biens et services que d’autres moins bien lotis ne peuvent pas s’offrir : on touche ici au cœur de la distinction sociale, ce qui sépare les modes de vies des ménages.

Même chose pour le poste « meubles et équipement de la maison » : les cadres y consacrent 6,5 % de leur budget total contre 4,6 % pour les ouvriers. Pour une part, il s’agit de l’effet des prix : les cadres n’ont guère besoin de plus de vaisselle, de tables ou de canapés que les ouvriers (en tout cas pas de façon proportionnelle à l’écart de revenus), mais leurs dépenses dans ce domaine sont trois fois plus élevées. Le gros de la différence entre cadres et ouvriers se loge moins dans le mobilier que dans l’utilisation de services domestiques, qui coûtent 840 euros aux cadres par an, contre 54 euros seulement aux ouvriers. Avoir recours à du personnel de maison est encore un élément qui sépare les univers sociaux.

Enfin, l’écart est encore plus grand pour le chapitre « hôtels et restaurants » : les cadres y consacrent une part presque deux fois plus grande de leurs revenus (10,7 % contre 5,5 %), c’est-à-dire 3 300 euros de plus par an que les ouvriers, soit une dépense 3,5 fois supérieure. Ils vont plus souvent au restaurant, dans des établissements où l’addition est élevée, fréquentent beaucoup plus les hôtels, et de gamme plus élevée. Ce poste du budget des ménages fait aussi partie de ceux qui distinguent.

Mode de vie et porte-monnaie

Dans une société marchande, le budget des ménages dessine une bonne partie des modes de vie : de l’accès au logement en passant par les vacances, l’équipement du foyer ou l’alimentation, bien gagner sa vie classe énormément. Bien sûr, tout n’est pas monétaire. Les cadres supérieurs fréquentent aussi beaucoup plus les bibliothèques, par exemple, ce qui reste invisible dans ce type de données. De l’école à la santé en passant par les musées, une partie des pratiques est financée par la collectivité, et les plus aisés en profitent comme les autres. Certaines dépenses sont liées aux habitudes culturelles et au diplôme, comme le montre l’exemple de l’attention portée au corps et à la santé chez les cadres.

L’enrichissement de nos sociétés – les niveaux de vie ont été multipliés par deux depuis les années 1970, une fois l’inflation prise en compte – a permis à une grande partie des couches populaires d’accéder à un ensemble de biens qui donne une apparence d’uniformisation des pratiques et qui conduit à des jugements erronés sur la « fin des catégories sociales », concept devenu très médiatique. La distinction se loge plus souvent qu’auparavant dans les détails moins visibles de la consommation (le type de voiture et non le fait d’en avoir une, par exemple) et dans l’accès à des services (voyages, emplois domestiques, par exemple) que l’on voit moins, mais qui classent tout autant et offrent des conditions de vie bien meilleures quand on a les moyens de se les offrir.

Ces données permettent aussi de mieux comprendre l’impact de la hausse des prix des biens de base. Le taux d’inflation est une moyenne nationale qui n’est pas totalement représentative de la hausse des prix pour les catégories populaires, quand les prix de l’alimentaire ou de l’énergie, par exemple, progressent plus vite que les autres postes. S’ajoute à cela l’importance plus grande aujourd’hui de postes dont le budget ne peut guère s’ajuster à la baisse, comme l’ensemble des abonnements (box, téléphone portable, frais bancaires) ou les assurances et qui réduisent le reste à vivre en bas de l’échelle des revenus. Enfin, il ne faut pas oublier l’énorme différence qui sépare les locataires des propriétaires, différence qui n’apparait pas dans ces données. Le budget des premiers est grevé par les loyers, parfois jusqu’à un tiers de leur revenu, alors que les seconds investissent dans la pierre et, une fois leurs emprunts remboursés, disposent d’un niveau de vie réel très supérieur.

Structure de la consommation des cadres et des ouvriers
Unité : %
Cadres supérieurs
Ouvriers
Écart entre cadres supérieurs et ouvriers
Alimentation et boissons non alcoolisées13,516,4- 2,9
Boissons alcoolisées et tabac1,93,9- 2,0
Habillement et chaussures5,55,40,1
Logement et charges13,418,4- 5,0
Meubles et équipement du foyer6,54,61,9
Santé1,81,60,1
Transports16,817,5- 0,7
Communications2,13,4- 1,3
Loisirs et culture11,37,93,5
Enseignement1,30,50,9
Restauration et hôtels10,75,55,2
Divers15,214,90,3
Ensemble100100
Lecture : les cadres consacrent en moyenne 13,5 % de leur budget à l'alimentation et aux boissons non alcoolisées.
Source : Insee – Données 2017 – © Observatoire des inégalités

Extrait de « Entre les cadres et les ouvriers, la consommation classe énormément », Centre d’observation de la société, 2 décembre 2022.

Photo / CC Tara Clark


[1Voir « Les différences sociales d’alimentation », Analyse n° 64, Centre d’études et de prospective du ministère de l’Agriculture, octobre 2013

Aidez-nous à offrir à tous des informations sur l’ampleur des inégalités

Notre site diffuse des informations gratuitement, car nous savons que tout le monde n’a pas les moyens de payer pour de l’information.

L’Observatoire des inégalités est indépendant, il ne dépend pas d’une institution publique. Avec votre soutien, nous continuerons de produire une information de qualité et à la diffuser en accès libre.


Je fais un don
Date de première rédaction le 28 mars 2023.
© Tous droits réservés - Observatoire des inégalités - (voir les modalités des droits de reproduction)

Sur ce thème