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Comment mesurer les discriminations ?

Les discriminations sont à l’origine de nombreuses inégalités. Encore faut-il pouvoir les détecter. Différentes techniques existent, mais aucune ne permet de les pointer avec exactitude.

Publié le 18 juin 2021

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Les discriminations, tout le monde en parle mais il est bien plus difficile de les mesurer. Faute de pouvoir évaluer le phénomène, avoir des arguments pour appuyer des politiques pour lutter contre est compliqué. Par exemple, on a beau savoir que le racisme existe chez certains employeurs, comment le combattre si on ne connaît pas l’ampleur du phénomène ? On ne pourra se battre qu’avec des mots, entre ceux qui pensent que « oui, les discriminations existent mais elles restent marginales » et ceux qui pensent que c’est un phénomène massif.

En droit, une discrimination consiste à traiter de manière différente deux personnes (ou un groupe de personnes) qui ne diffèrent que par un critère interdit par la loi (voir « Qu’est-ce qu’une discrimination ? »). Par exemple, rémunérer moins une femme, parce que c’est une femme. La difficulté pour mesurer ces discriminations réside dans le fait qu’il faut s’assurer que les critères retenus pour comparer deux situations soient bien les mêmes. Difficile, mais pas impossible. Et pour cela les statisticiens disposent de trois outils principaux.

Mesurer des écarts « toutes choses égales par ailleurs »

La première approche consiste, avec des méthodes statistiques, à isoler un critère unique, par exemple le sexe, et voir ce qui se passe. On dit que l’on raisonne « toutes choses égales par ailleurs ». L’analyse de l’écart de salaire entre les femmes et les hommes est le domaine où cette méthode est le plus appliquée. Cet écart peut s’expliquer par le fait que les femmes ne disposent pas des mêmes diplômes, qu’elles ne travaillent pas dans les mêmes secteurs, par l’effet du temps partiel, etc. Mais aussi par des discriminations pures et simples, qui se dévoilent une fois que l’on a mis de côté les autres facteurs.

Cette méthode porte sur des échantillons de population considérables. Elle aboutit à des conclusions solides au niveau national et permettent théoriquement de mesurer l’évolution dans le temps. Mais elle est dépendante des critères disponibles : ainsi en France, comme on ne pose pas la question de la couleur de la peau dans les enquêtes, on ne peut utiliser ce critère. En outre, il est toujours très difficile de mesurer l’ensemble des facteurs qui jouent pour raisonner « toutes choses égales par ailleurs ». Cette méthode mesure l’écart qui subsiste une fois qu’on a mesuré tous les critères possibles, une sorte de « présomption de discrimination ». Attention enfin : cette méthode de raisonnement met en évidence des écarts lié à un critère unique (qui peut être le diplôme, le revenu, etc.) qui ne sont pas toujours des discriminations au sens juridique du terme.

Le test de situation ou testing

Le test de situation, aussi appelé testing, est une méthode empirique de détection des discriminations. Il consiste à comparer les résultats de deux types de candidats en tous points identiques à une exception près, la caractéristique testée (par exemple l’origine migratoire, le lieu d’habitation, le sexe, etc.) dans des processus de sélection réels, comme une embauche, l’entrée en boîte de nuit, la recherche de logement, etc.

L’avantage du testing, c’est qu’il permet d’isoler précisément un critère de discrimination, qui est le seul qui diffère selon les candidats. Mais c’est aussi qu’il fait apparaître la discrimination en situation réelle, par l’expérience, alors que la mesure « toutes choses égales par ailleurs » reste théorique. Ce qui fait l’avantage du testing en fait aussi la limite : il n’est valable que pour l’opération qui a été menée, à un moment et pour un lieu donné. Lourd et coûteux à organiser, il est très complexe de reproduire les tests à l’identique dans le temps et d’observer les évolutions.

Les enquêtes auprès de la population

Il existe enfin une dernière possibilité, qui consiste à poser la question de l’expérience de discrimination dans un échantillon de la population. Par exemple, chaque année, le Défenseur des droits mène avec le Bureau international du travail une enquête sur l’expérience de la discrimination au travail.

L’avantage de ces enquêtes est qu’elles sont relativement simples à mener. Il s’agit de sondages qui portent des échantillons plus ou moins grands en fonction de la précision que l’on cherche à obtenir. Elles traduisent le vécu des personnes. Leur inconvénient est qu’on ne mesure pas les faits, mais leur ressenti. Ce sentiment dépend de nombreux facteurs, notamment de la médiatisation de telle ou telle pratique. Si la sensibilité à telle ou telle forme de discrimination augmente, alors la mesure de la perception va surtout refléter l’évolution de cette sensibilité.

Les outils de mesure des discriminations ne sont pas parfaits. Le raisonnement « toutes choses égales par ailleurs », le testing ou les enquêtes auprès de la population ont chacun des avantages et des limites. Ils sont complémentaires. Toute leur complexité vient de ce qu’ils tentent de faire apparaître une pratique illégale et donc le plus souvent masquée ou déguisée. On peut simplement noter qu’ils sont encore relativement peu utilisés par le monde de la recherche et les institutions publiques.

Photo / © iStock designer491

Date de première rédaction le 27 novembre 2007.
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