Point de vue

Redistribution à l’envers

Le bilan des réformes fiscales de 2000 à 2003 est très favorable aux plus aisés, du fait de la baisse de l’impôt sur le revenu. Le point de vue de Denis Clerc, fondateur du magazine Alternatives Economiques.

Publié le 16 mars 2005

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Entre 2000 et 2003, trois réformes importantes ont eu des incidences non négligeables sur la redistribution des revenus en France. Çela a d’abord été, en 2000, la création de la Prime pour l’emploi (PPE), puis l’année suivante la réforme de l’allocation logement, enfin, en 2000, 20002 et 2003, les réductions d’impôt sur le revenu.

La Prime pour l’emploi était initialement censée équilibrer la baisse de l’impôt sur le revenu décidée par le Ministre des Finances de l’époque, Laurent Fabius : le projet initial consistait à réduire la CSG sur les revenus d’activité des personnes à bas revenu, de sorte que celles-ci bénéficient d’un gain de pouvoir d’achat à peu près équivalent à celui des personnes payant l’impôt sur le revenu. L’idée était noble, mais la réalisation maladroite : le Conseil d’Etat renvoya sa copie au Ministre, en faisant valoir qu’introduire une CSG à taux variable selon le revenu, c’était rompre l’égalité devant un impôt conçu explicitement à taux unique lors de sa création. D’où la PPE : faute de pouvoir réduire la CSG, l’Etat fit voter par les députés une Loi de Finances dans laquelle l’Etat s’engageait à rembourser aux contribuables, imposés ou non, une somme calculée en fonction de leurs revenus d’activité, de leur temps de travail et de leurs charges de famille. Au total, 8 millions de contribuables bénéficient actuellement de cette prime, pour un montant global de 2,6 milliards €, soit une moyenne d’un peu plus de 300 € par bénéficiaire et par an.

Ensuite, le système de l’allocation logement a été réformé, de manière à l’augmenter pour les bas revenus d’activité (alors que, jusqu’alors, seuls les allocataires de minima sociaux en bénéficiaient à taux plein) : un allocataire du RMI qui revenait à l’emploi subissait alors une baisse non négligeable de son revenu. C’était cela qu’il convenait de corriger. On en profita pour unifier les aides au logement, de sorte que, à situation familiale et à revenu équivalents, deux familles perçoivent la même chose, qu’elles relèvent de l’aide personnalisée au logement (pour logement conventionné), de l’allocation de logement sociale ou de l’allocation de logement familial.

Enfin, en ce qui concerne l’impôt sur le revenu, il y eut, en 2000, la baisse des deux premières tranches de l’impôt, en 2001 l’aménagement de la décote (réduction d’impôt concernant les contribuables les plus modestes), en 2002 et 2003 la baisse de toutes les tranches du barême, le tout pour un montant de 7 milliards d’euros.

Qui a gagné à l’ensemble de ces réformes ? A priori un peu tout le monde, puisque l’une visait le bas de l’échelle (allocation logement), l’autre un peu tout le monde (PPE) et la dernière plutôt le haut de l’échelle. Heureusement, pour aller un peu plus loin, on dispose d’une étude de Valérie Albouy, François Bouton, Sylvie Le Minez, Muriel Pucci, Pierre Courtioux et Aude Lapinte (1).

On passera ici sur les minutieuses descriptions et analyses des auteurs, qui ont travaillé à la fois sur une série de cas type (un célibataire, un couple bi-actif avec deux enfants, etc.) et sur l’ensemble des individus en activité. En gros, l’ensemble de ces réformes est du type pâté d’alouette (un cheval, une alouette) : le cheval, c’est la baisse de l’impôt sur le revenu, l’alouette, c’est la réforme de l’allocation logement. Et le sel pour donner de la saveur à tout cela (et empêcher que les classes moyennes vraiment moyennes ne désespèrent de Bercy), c’est la PPE, versée un peu à tout le monde.

On apprend donc que l’ensemble de ces réformes a permis à un individu en emploi gagnant l’équivalent d’un Smic à temps plein d’augmenter son pouvoir d’achat de 431 euros sur l’année, tandis que le cousin germain du premier, mieux placé dans la hiérarchie salariale puisqu’il gagne 4 fois le Smic à temps plein, a encaissé 1607 euros, et que le fils du premier, qui se contente d’un petit boulot lui rapportant sur l’année 0,4 fois le Smic à temps plein, a bénéficié de 289 euros.

Et comme si ça ne suffisait pas, l’actuel ministre des Finances a affirmé que, oui, bien sûr, la baisse de l’impôt sur le revenu allait se poursuivre. On peut lui suggérer d’offrir à tous les Rmistes des cotillons et des serpentins pour qu’ils arrosent le gain de pouvoir d’achat dont ils vont bénéficier : ça ne devrait pas coûter au Ministère plus d’un mois de loyer d’un duplex de 600 m² près de l’Etoile.

(1) « L’évaluation des réformes récentes des barèmes sociaux et fiscaux », Dossiers Solidarité et santé, n° 4, décembre 2004. La Documentation française, 2005.

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Date de première rédaction le 16 mars 2005.
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