Analyse

Mariage homosexuel, inégalité et injustice

Le débat sur la légitimité du mariage homosexuel porte, au fond, sur la légitimité de l’homoparentalité. Le refus de reconnaître juridiquement l’un et l’autre ne constituerait-il pas un cas manifeste de discrimination ? Une analyse de Patrick Savidan, professeur de philosophie sociale et politique à l’Université de Poitiers.

Publié le 28 décembre 2012

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Modes de vie Orientation sexuelle

La question du mariage homosexuel ne cesse de faire débat. C’était une promesse de campagne du désormais président François Hollande, et de fait le projet de loi sur le « mariage pour tous », présenté le 7 novembre en conseil des ministres et débattu au Parlement à partir du 29 janvier 2013, a bien pour objet d’ouvrir « le mariage aux couples de personnes de même sexe ». Ce projet s’inscrit dans une logique et une dynamique démocratiques bien identifiables, celle attachée à la reconnaissance de l’égale dignité des personnes et à l’égalité des droits qui en procède.

Mais si le projet a ses partisans, il a aussi ses adversaires. Ainsi Christine Boutin, présidente du Parti chrétien-démocrate, mouvement associé à l’UMP, a contesté le 24 décembre 2012 sur I-télé, que la situation actuelle soit en quelque manière discriminatoire pour les homosexuels : « les homosexuels peuvent se marier naturellement, explique-t-elle doctement, mais avec une personne de l’autre sexe. » Comme tout le monde ne peut avoir le sens de l’humour cathodique plus ou moins volontaire de Mme Boutin, il reste la rue pour exprimer sa vive opposition. Dans la plupart des pays européens de forte tradition catholique, on a donc assisté à des mobilisations d’opposition, souvent assez fortes.

En Espagne, par exemple, le 18 juin 2005, des dizaines de milliers personnes, dont l’Archevêque de Madrid et une quinzaine d’évêques, étaient descendues dans la rue pour tenter de dissuader le gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero d’accorder aux homosexuels le droit de se marier. Le gouvernement espagnol avait tenu bon. Et le 30 juin 2005, le congrès des députés avait voté - portant ainsi l’Espagne au niveau des Pays-Bas, de la Belgique et du Canada notamment - la légalisation du mariage gay. La France, quant à elle, hésite encore à s’engager dans cette voie. Impossible de dire à ce stade dans quelle direction et jusqu’où portera la réforme initiée par le gouvernement. Mais on peut s’attendre en revanche à un débat tendu, qui devrait s’intensifier à compter du 29 janvier 2013, date d’ouverture de la discussion parlementaire. Au cœur de ces discussions, une question : le non-accès au mariage et aux droits qu’il ouvre constitue-t-il une forme de discrimination arbitraire à l’encontre des personnes homosexuelles ? [1].

Non, catégoriquement non, répond Françoise Dekeuwer-Défossez, professeur émérite à l’université de Lille-2, doyenne honoraire de la faculté des sciences juridiques, politiques et sociales et membre du Haut Conseil de la famille. Ce n’est pas une discrimination, mais une différenciation des statuts liée à la nécessité de préserver les « structures fondamentales de notre civilisation ». Rien de moins. Pour étayer son propos, cette éminente spécialiste du droit de la famille s’appuie sur une série d’arguments nettement définis qui ont en outre l’intérêt de constituer la trame d’une perspective assez communément partagée par les opposants au « mariage pour tous » et aux perspectives qu’il ouvre, ouvrira (ou devrait ouvrir) en termes d’homoparentalité. Il est donc très utile de s’y intéresser [2].

Notons tout d’abord, pour écarter tout risque de malentendu, que sa position ne relève nullement d’une forme réductrice (et agressive) de traditionalisme qui aurait pour intention de dénier tout droit aux homosexuels. Si Françoise Dekeuwer-Défossez récuse l’idée de mariage homosexuel, elle défend toutefois une solution de clarification prévoyant que des concubins homosexuels puissent formaliser leur union par un contrat d’union civil (contrat qui leur serait propre et ne serait donc pas, à ce titre, ouvert aux membres d’une même famille). Elle est donc favorable à une forme de reconnaissance juridique des couples homosexuels et soucieuse d’y rattacher tout un ensemble de droits. Cette solution est cependant d’une portée limitée sur un point central : elle ne doit pas conférer le droit d’adopter des enfants, ni a fortiori celui de bénéficier de quelque assistance à la procréation que ce soit.

Cette position est commune à la plupart des adversaires les plus progressistes au projet de « mariage pour tous ». Ils peuvent être favorables à la reconnaissance d’un certain type d’union, aller parfois jusqu’à admettre la possibilité pour des homosexuels de se « marier », mais font en général barrage à l’homoparentalité. La raison mise en avant, de manière plus ou moins élaborée, est en son principe assez simple : il s’agit de rappeler, à l’instar de Françoise Dekeuwer-Défossez, que le mariage est par définition fondé sur la différenciation des sexes et qu’il a essentiellement pour finalité d’organiser « la reproduction de l’espèce » - ce que ne serait pas en mesure de faire un couple homosexuel. Cette donnée est déterminante, et le droit ne saurait, selon elle, s’en affranchir.

Pour la juriste, il n’appartient tout simplement pas au droit de « demander à la société de leur [les couples homosexuels] permettre d’avoir des enfants »créés« à l’extérieur de la cellule familiale ». Persuadée des dangers auxquels nous exposerait une telle démarche, cette dernière ajoute que « notre système de filiation est actuellement fondé sur l’existence d’un père et d’une mère. Revenir sur ce principe, c’est remettre en question les structures fondamentales de notre civilisation. » Françoise Dekeuwer-Défossez est prête à admettre que les enfants élevés par des couples homosexuels puissent ne pas se porter plus mal que ceux élevés par des couples hétérosexuels, mais c’est pour affirmer cependant que là n’est pas le problème. Par un raisonnement fondé sur l’évaluation des conséquences possibles (qui accorde une priorité, notons-le au passage, à « notre civilisation » plus qu’aux enfants de cette civilisation), elle affirme qu’un mariage est ... un mariage, soit : une institution orientée vers la procréation. Or « un couple de personnes de même sexe ne peut procréer » [3]. Ce point est essentiel. C’est en effet dans ce cadre là qu’il devient possible de contester le caractère discriminatoire de la situation actuelle. F. Dekeuwer-Défossez faisait en ce sens valoir, en novembre 2012, dans les pages du Figaro que le maintien d’une différenciation des statuts ne constitue pas une atteinte à l’égalité des personnes. Il ne peut y avoir de discrimination que dans la mesure où l’on traite différemment des personnes identiques, or un homme est différent d’une femme et un couple hétérosexuel d’un couple homosexuel : « Juridiquement, rappelle-t-elle, il n’y a discrimination que lorsqu’on traite différemment des situations identiques. Or, sur le plan de la procréation, les couples hétérosexuels et homosexuels ne se trouvent pas dans des situations comparables ». Et d’ajouter alors : « Aujourd’hui, nous n’envisageons plus l’égalité que sous l’angle de l’identité. À tort, car l’égalité ne signifie pas forcément indifférenciation des droits. »

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Ces arguments nous semblent pouvoir être contestés de plusieurs points de vue.

On peut tout d’abord se demander quel est le critère permettant de déterminer aussi précisément et immuablement ce que le droit ou la société peut ou ne peut pas dire. Même en admettant que l’on parvienne à identifier un tel critère, cela n’impliquerait pas pour autant que celui-ci soit permanent. On peut aisément puiser dans l’histoire du droit positif toute une série d’exemples attestant que les codes ont connu des mutations significatives - du fait de l’évolution des mœurs ou de la connaissance du social - et que, de ce fait, certaines pratiques légales ont pu être jugées ultérieurement illégales (et inversement) ou que certains droits, d’abord limités à certains individus (les hommes par exemple), aient pu être ensuite attribués à d’autres (les femmes). Peut-être cet autre grand juriste n’avait-il pas non plus tout à fait tort lorsqu’il écrivait que « le mariage tient au droit et le droit à la société » et que « c’est la société qui fait le couple et parfois le défait. » [4] Certains ont pu longtemps estimer que le divorce était inconcevable parce qu’ils jugeaient que le droit n’avait pas à se prononcer sur une union aussi sacrée que le mariage. Si le droit est finalement passé outre, c’est parce que la société souhaitait « l’introduction (ou l’extension) du divorce dans un système de droit qui le rejetait (ou le restreignait) » [5]. En ce sens, il semble tout à fait dans l’ordre des choses que l’on puisse débattre de la question de savoir si « un enfant peut avoir deux pères ou deux mères ». Si, selon le jugement éclairé d’une majorité, c’est possible, il faudra tout simplement que le droit en tienne compte. Ce ne sera pas la première fois que des avancées de ce type se produiront, et ce ne sera sans doute pas non plus la dernière.

On peut ensuite s’interroger sur la volonté de fonder le mariage sur l’altérité sexuelle et sur la procréation. Françoise Dekeuwer-Défossez écrit que l’union de personnes homosexuelles ne peut être un mariage, parce qu’un « couple de personnes de même sexe ne peut procréer ». Que le mariage ait pu, depuis fort longtemps, organiser « la reproduction de l’espèce », n’implique nullement que cela soit sa seule fonction, ni que ce soit sa fonction essentielle, celle, tout du moins, à partir de laquelle il faudrait définir le mariage en tant que tel. Cette thèse ne fait pas droit à toutes les autres raisons que les individus peuvent avoir de vouloir s’unir (sans même aller jusqu’à parler d’amour, on peut au moins signaler que le mariage a pu avoir longtemps des fonctions essentiellement économiques et / ou politiques). Elle laisse aussi dans une situation très incertaine le couple hétérosexuel marié qui n’envisage pas d’avoir d’enfants (pour des raisons de convenances ou des motifs éthiques) ou qui ne peut pas en avoir pour des raisons d’ordre économique ou médical. Sont-ils moins mariés qu’un couple d’hétérosexuels mariés ayant au moins un enfant ? Est-on mieux mariés lorsque l’on a plus d’enfants ?). Ce type de thèse a pour fâcheuse conséquence de faire d’un mariage sans enfant une sorte d’échec. [6].

Au-delà de l’ancrage anthropologique souvent mis en avant, on n’ignore pas ce que cet argument doit à certaines thèses psychanalytiques, ou plus exactement : aux thèses d’une certaine psychanalyse. L’homoparentalité constitueraient une transgression, un bouleversement de l’ordre symbolique (supposant toujours une figure de père, forte, garante de l’autorité de la loi symbolique, et une parentalité hétérosexuelle pour contrecarrer le rêve d’autoreproduction source de la psychose), dont on aurait tout à craindre. Ces arguments sont bien connus et on peut rappeler que ce sont précisément ceux que l’on opposait, dans les années 1990, aux techniques de procréation assistée, arguant du risque de psychose auquel étaient exposés des enfants conçus « artificiellement ». Pas d’accès à la « scène primitive » si structurante pour la psyché, en raison de l’absence de l’idée du coït procréateur, affirmaient alors certains psychanalystes. La suite, ils l’oublient aujourd’hui, leur a donné tort [7].

Mais allons plus loin. Même en abondant dans le sens de l’argument (c’est-à-dire en acceptant l’idée que le mariage ait essentiellement comme fonction d’organiser la reproduction), cela exclut-il le principe de l’homoparentalité ? Pour répondre à cette question, il faudrait d’abord s’interroger sur la nature de la reproduction qui est ici visée ? Françoise Dekeuwer-Défossez entend la reproduction au sens strict de procréation biologique. A ce niveau, elle a évidemment raison : des personnes homosexuelles ne peuvent procréer ensemble. Mais la reproduction n’est-elle que biologique ? Ne peut-elle pas aussi être sociale ? Si ce qui est « reproduit » ce n’est pas à proprement parler « l’espèce », mais « l’humanité », on fait alors passer au premier plan la question de la bonne éducation. Ce qui importe alors ce n’est pas de savoir qui peut faire des enfants, mais de savoir qui veut et peut s’en occuper et les élever de manière satisfaisante, qui est susceptible de permettre à un enfant de réaliser pleinement son humanité. A ce titre, comme elle le note d’ailleurs elle-même, des parents homosexuels peuvent ne pas être plus mauvais parents que des parents hétérosexuels. Où est alors le problème ?

Quant à l’argument de la pente fatale (si on autorise le mariage homosexuel, on autorise du même coup, la généralisation de « l’usage de l’autre sexe comme simple ventre ou étalon »), il n’a rien de décisif. C’est condamner une forme de parentalité en questionnant la légitimité des moyens (procréation médicalement assistée ou Gestation pour autrui) qui la rendent possible. C’est, on le voit, se tromper de débat.

Françoise Dekeuwer-Défossez ne mentionne pas une autre objection de type pragmatique. On pourrait faire valoir contre le principe de l’adoption conjointe d’un enfant par deux personnes du même sexe que, dans les faits, il est d’ores et déjà parfaitement possible, pour un couple homosexuel, d’atteindre ses objectifs (aimer et élever en commun un enfant) dans le cadre du droit actuel. Il suffit pour ce faire que l’une des deux personnes engage une procédure d’adoption en tant que célibataire ou qu’elle ait un ou des enfants d’une précédente union. Pourquoi, dira-t-on alors, engager une réforme juridique dont on maîtriserait mal les effets à moyen et à long termes ?

Il faut pourtant se méfier d’une telle « solution ». D’abord elle a le désavantage de réduire l’un des deux parents à une sorte de clandestinité que toute la cellule familiale doit ensuite organiser et entretenir. Il faut ensuite se rappeler que la procédure d’adoption reste comparativement plus difficile pour un célibataire que pour un couple et n’ouvre pas de droits pour le parent non-adoptif. Un couple homosexuel n’est pas moins susceptible en effet de s’achever en « divorce » qu’un mariage hétérosexuel. Dans un tel cas de figure, la question de la protection des droits du parent non-adoptif se pose. Dans le même ordre d’idée, si le parent adoptif ou biologique devait décéder, comment garantir que le partenaire survivant puisse conserver l’autorité parentale et que l’enfant ou les enfants n’aient pas à subir, outre le traumatisme causé par le décès du parent, celui d’être séparés du parent survivant ? [8]

Sur un plan plus général, cet argument pragmatique s’épuise de toutes façons face à une objection qui ne l’est pas moins. En 2011, 1 995 enfants ont ainsi été adoptés en France, contre 4 000 au début des années 2000, cela alors que 30 000 agréments sont valides [9]. Autrement dit : les demandes d’adoption sont fortes et les possibilités d’y répondre se raréfient. On ne peut donc uniquement compter sur l’adoption pour satisfaire le désir d’enfant.

Ce dernier argument a surtout l’inconvénient majeur de négliger la pourtant impérieuse question de droit. Selon quelle logique, une société démocratique, soucieuse d’affirmer et défendre l’égale dignité des personnes, pourrait-elle accorder à certains individus, et par voie de conséquences à certains couples, ce qu’elle refuse à d’autres ? Notre droit a intégré l’idée que l’orientation sexuelle était un critère de discrimination arbitraire. Si l’on s’en tient à cette idée, il est dans l’ordre démocratique des choses que les couples homosexuels puissent se marier et élever ensemble des enfants. Ce qui suppose aussi qu’ils puissent - puisqu’ils se soumettent par ailleurs à toutes les obligations des couples mariés - bénéficier de toutes les techniques de procréation médicalement assistée accessibles aux couples hétérosexuels.

*

Nous le voyons, le débat sur le mariage homosexuel tend à se muer, à son niveau le plus problématique, en un débat sur l’homoparentalité.

Pour ce qui est de l’homoparentalité, le seul argument qui paraisse en fait recevable d’un point de vue conséquentialiste est l’intérêt de l’enfant, son bonheur, son équilibre. La parenté homosexuelle est-elle préjudiciable au bon développement d’un enfant ? L’enfant a-t-il besoin d’un père et d’une mère ? Et, si nous le concédons, faut-il nécessairement que ces fonctions parentales soient prises en charge par des personnes de sexes différents ? C’est à ces questions là, uniquement, qu’il faudrait finalement consacrer nos efforts d’analyses et de discussions [10]. Elles nous semblent, en tous les cas, être seules de nature à permettre d’éviter l’écueil de l’injustice faite aux couples homosexuels.

Si les discussions auxquelles participent sur ces questions, sociologues, psychologues, pédopsychiatres ou encore psychanalystes, peuvent encore inciter à la prudence (notamment parce que certains estiment que, sur ces problèmes, nous manquerions encore de recul), il faut tout de même reconnaître que l’homoparentalité tend aujourd’hui à gagner en acceptabilité.

En février 2002, l’Académie américaine de pédiatrie (AAP) - qui regroupe 55.000 pédiatres - exprimait ainsi un soutien très net au principe de l’adoption conjointe par des parents homosexuels, au motif simplement que « Les enfants naturels ou adoptés d’un partenaire dans un couple d’homosexuels masculins ou de lesbiennes ont droit à la sécurité (qu’apportent) deux parents légalement reconnus ». De fait, commence à s’imposer l’idée selon laquelle ce qui importe le plus, du point de vue du développement optimal d’un enfant, c’est la nature de la relation qu’il aura avec ses parents - plus que l’identité sexuelle de ces derniers - ainsi que le contexte économique, social et culturel dans lequel il sera élevé. On peut aisément en conclure que l’enfant d’un couple homosexuel bénéficiera d’autant mieux de cette situation que l’homoparentalité sera par ailleurs bien acceptée par la société. Autres temps, autres mœurs. Autres mœurs, autres droits...

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[1Je laisse ici de côté la question de savoir si le Pacte Civil de Solidarité (PACS) créé en 1999 ne répondrait pas déjà aux attentes « recevables » des couples homosexuels. Au regard des revendications exprimées, on sait que cette convention est insuffisante. Pour une raison évidente : elle ne donne pas aux couples « pacsés » l’ensemble des droits dont bénéficient les personnes mariées. Ainsi les personnes unies par un simple pacte civil de solidarité ne peuvent pas hériter l’une de l’autre ; elles ne peuvent bénéficier d’une imposition commune que trois après la signature du PACS ; ce pacte civil n’ouvre droit ni à pension de réversion, ni à prestations compensatoires ni à allocation veuvage ; il faut encore souligner que l’attribution d’un titre de séjour au partenaire étranger ne se fait pas dans les mêmes conditions que pour un « conjoint » étranger et que pour mettre un terme à l’engagement contracté, les exigences ne sont pas les mêmes. Surtout, et l’état actuel du débat le montre bien, c’est sur ce point que la discussion porte en premier lieu : le PACS n’ouvre aucun droit en termes de parentalité.

[2On peut s’attendre à ce que, dans le fil du débat qui va s’ouvrir fin janvier 2013, les positions se simplifient et se radicalisent, entraînant de ce fait un durcissement des oppositions. Les questions que soulève cette importante réforme méritent pourtant mieux qu’un vaste dialogue de sourds. Le problème est en effet complexe et suppose d’avoir accès à des connaissances nombreuses, sûres et significatives. Il touche à des convictions auxquelles les individus qui les professent peuvent être profondément et sincèrement attachés, et ce pour des raisons qui leur semblent dignes d’estime. L’enjeu est donc bien de se faire sa conviction, sans tenir par avance les positions adverses comme étant nulles et non avenues dans un contexte qui confirme combien il est artificiel d’exiger des citoyens qu’ils entrent dans la discussion publique en faisant abstraction de leurs convictions intimes. Sur cette question comme sur bien d’autres, on peut se tenir dans une sorte d’expectative, avoir une position bien déterminée, dans un sens comme dans l’autre, ou bien se tenir prêt à en changer, comme ça a été par exemple le cas pour la sociologue Irène Théry, auteur en 1998 du rapport Couple, filiation et parenté aujourd’hui. Le droit face aux mutations de la famille et de la vie privée, remis au ministre de l’Emploi et de la Solidarité et au ministre de la Justice. Comme chercheur et comme intellectuelle, Irène Théry est beaucoup intervenue sur cette question, d’abord pour s’opposer fortement au mariage homosexuel et à l’homoparentalité (voir « Non au mariage bis des concubins », L’Express, 2.10.1997), pour défendre aujourd’hui la position diamétralement inverse (voir sur ce point : [« Filiation : l’impensé de la loi Taubira », Le Monde, 18.09.2012, ainsi que « Mariage pour tous : la Gestation pour autrui ne doit pas être le bouc émissaire », Le Monde, 19.12.2012 - Merci à Jennifer Merchant d’avoir attiré mon attention sur cette évolution pour le moins remarquable). Nous verrons ce que donnera le débat en France, mais ce serait déjà pas si mal si l’on pouvait considérer que chacune de ces manières d’entrer dans la discussion, de s’y tenir ou de s’y mouvoir, a droit de cité.

[3La citation complète : « Les militants de cette cause mettent en avant le fait que les enfants élevés par des couples homosexuels ne se portent pas plus mal que les autres. Heureusement ! Mais, de là à demander à la société de leur permettre d’avoir des enfants »créés« à l’extérieur de la cellule familiale, il y a un pas, qu’il me semble dangereux de franchir. Notre système de filiation est actuellement fondé sur l’existence d’un père et d’une mère. Revenir sur ce principe, c’est remettre en question les structures fondamentales de notre civilisation. »

[4Jean Carbonnier, Flexible droit, Paris, L.G.DJ., 10ème édition, 2001, p. 258.

[5Jean Carbonnier, op.cit., p. 261.

[6Sur cette association du mariage et de la procréation et sa critique juridique, voir, en anglais, le très remarquable arrêt de la Cour Suprême du Massachusetts du 18 novembre 2003 (Hillary GOODRIDGE & others vs. DEPARTMENT OF PUBLIC HEALTH & another)

[7Voir la critique de ce point de vue par Sylvie Faure-Pragier, auteur de « Bébés de l’inconscient : le psychanalyste face aux stérilités féminines aujourd’hui (PUF, 2003), dans »Homoparentalité : Psys, taisons-nous !, Le Monde, 25 décembre 2012.

[8A cet argument, on pourrait être tentés de répondre que, de ce point de vue, la situation n’est pas différente de celle des personnes vivant en concubinage. Elle est en fait très différente : Les concubins choisissent de ne pas se marier, alors que la société interdit pour le moment aux homosexuels de le faire. Ajoutons que l’utilisation de la procédure de « délégation d’autorité parentale », possible depuis 2002, reste encore très problématique du point de vue de sa mise en œuvre.

[9Gaëlle Dupont, « Le droit à l’adoption conjointe risque de rester théorique », Le Monde, 29 juin 2012.

[10Dans une littérature très abondante, voir par exemple les remarques très suggestives de Geneviève Delaisi de Parseval dans sa préface à E. Dubreuil, Des parents du même sexe, Paris, Odile Jacob, 1988, ainsi que le riche dossier de la revue Comprendre, dir. par S. Mesure et F. de Singly, « Le lien familial » (Paris, PUF, 2001, n°2).

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Date de première rédaction le 22 juin 2005.
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