Point de vue

Il faut supprimer le quotient familial

Plutôt que réduire les allocations, il faudrait mieux supprimer le système injuste de quotient familial de l’impôt sur le revenu. Le point de vue de Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités.

Publié le 19 mars 2013

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Revenus Modes de vie Catégories sociales

L’objectif premier de la politique familiale n’est pas de redistribuer entre riches et pauvres mais entre ceux qui n’ont pas d’enfants et ceux qui en ont. La mise sous condition de ressources de l’ensemble des prestations familiales pour une partie des plus aisés - souvent évoquée - est une erreur. Elle conduira, à plus ou moins longue échéance, à la remise en cause de l’ensemble de la protection sociale le jour où les riches et les bien-portants préféreront payer pour leurs enfants plutôt que pour ceux des pauvres et leurs malades. La France souffre aujourd’hui déjà d’un déficit de politiques universelles.

Les allocations familiales, pour une grande part, ne dépendent pas du revenu : il existe en France un mécanisme beaucoup plus injuste, qui aide davantage les familles riches que les familles pauvres ! La véritable injustice fiscale française, réside dans le système dit de « quotient familial » de l’impôt sur le revenu [1]. Celui-ci réduit le montant de l’impôt à payer par les familles en fonction de leur nombre d’enfants et proportionnellement à leurs revenus !

Cette redistribution à l’envers atténue le caractère déjà peu progressif du système fiscal français. Au total, la perte de recettes pour le budget de l’État est estimée entre 10 et 13 milliards par an. Certes, le gouvernement en a réduit légèrement la portée en diminuant de 2 300 à 2 000 euros la baisse maximale d’impôt que permet chaque demi-part à partir des revenus de 2012. Mais la mesure reste prudente : elle ne concerne que 2,5 % des foyers fiscaux, s’applique par exemple à partir de 77 000 euros pour un couple avec deux enfants. Il faut donc aller bien au-delà.

Évidence qu’il faut rappeler, les familles non imposables, la moitié des foyers, ne voient pas la couleur du quotient. Pour les autres, d’après des calculs réalisés par le ministère du budget, l’avantage procuré est en moyenne de 490 euros annuels pour les 10 % des ménages les plus pauvres et de 3 800 euros pour les 10 % les plus riches (ces données ont été calculées avant les mesures prises en 2012). En fait, jusque 1 500 euros de revenus mensuels, le quotient n’apporte aucun avantage, quel que soit le type de famille...

Comment donner une explication à une telle injustice ? L’argument des défenseurs du quotient est simple : ce mécanisme sert à assurer l’égalité de traitement entre familles de niveau de vie semblable avec et sans enfant. Rien d’autre. L’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme stipule en effet que la « contribution commune » doit être « également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Que l’on comprenne bien ce que sous-entend un tel raisonnement : si l’égalité de traitement est assurée par le quotient en proportion des revenus, cela veut dire, que la capacité contributive des ménages est réduite à la venue de chaque enfant, proportionnellement au revenu des parents. Un enfant de riches entraîne plus de dépenses qu’un enfant de pauvres. C’est la seule justification valable du quotient familial.

Dans la pratique, les défenseurs du quotient familial ont raison : le loyer d’un studio dans le 7e arrondissement de Paris est plus élevé que celui d’une chambre en cité universitaire. Un enfant de riche coûte effectivement plus cher à ses parents, en études, en loyers, en vacances, en activités diverses, etc..., qu’un enfant de pauvre. Doit-on, au nom de l’égalité entre familles de même niveau de vie donner plus aux riches qu’aux pauvres ? La République n’a pas à reconnaître cette réalité : tous les enfants sont égaux à ses yeux. En Europe, seule la France raisonne de cette façon. C’est donc d’un montant fixe que doivent être réajustées les facultés contributives, considérant que chaque enfant coûte autant, même si c’est faux dans la réalité.

Si l’on admet la nécessité d’une politique familiale, quelles pourraient être les grandes lignes d’une réforme permettant une redistribution plus juste ? Les enjeux de la réforme sont importants, car des familles aisées y perdront quelques milliers d’euros au profit des catégories populaires et moyennes. Il faut donc supprimer progressivement le quotient. Par une mesure simple : l’abaissement graduel sur cinq ou dix ans, du plafond de revenus au-dessous duquel le quotient s’applique. En parallèle, on pourrait augmenter les allocations familiales du montant des recettes fiscales ainsi obtenues. D’un montant égal pour chaque enfant, elles seraient versées dès le premier, et viendraient remplacer toutes les anciennes aides. Au passage, c’est une évolution semblable à la réforme du supplément familial de traitement que perçoivent les fonctionnaires qui devait être mise en place le 1er janvier 2012 [2] et qui a été repoussée. Ce supplément, en grande partie proportionnel au salaire devait être rendu forfaitaire, assurant ainsi une plus grande justice.

Sur les bases actuelles, le montant des nouvelles allocations familiales atteindrait autour de 600 euros par an par enfant selon le ministère du budget lui-même ! Le niveau global des allocations familiales serait doublé, ce qui aurait un effet très net de relance de l’activité, le quotient familial d’aujourd’hui servant surtout à alimenter l’épargne des couches aisées. Une grande majorité des familles des catégories populaires et moyennes y gagneraient. En particulier les jeunes couples des classes moyennes au moment de la venue de leur premier enfant.

La peur des associations familiales, même progressistes, devant un tel chamboulement, est légitime : la manne budgétaire ainsi débloquée servirait-elle vraiment à la politique familiale ? Réticence légitime, par ces temps de restrictions budgétaires... C’est donc un engagement précis que devrait prendre la collectivité, en réaffirmant, à l’occasion, la nécessité d’une solidarité entre ceux qui ont des enfants et ceux qui n’en ont pas. Au-delà du « coût » de l’enfant, bien réel, le « petit d’homme » est une trop grande richesse pour que la collectivité ne le favorise pas un peu.

Louis Maurin

Directeur de l’Observatoire des inégalités. Auteur de « Déchiffrer la société française », éditions La découverte, 2009.

(Cet article est une version actualisée d’un point de vue publié par Le Monde, le 1 juillet… 1997.)

Photo/ © ARochau - Fotolia.com


[1Confondu malheureusement par beaucoup avec le système de quotient utilisé notamment par les collectivités locales pour certains services (activités de loisir, cantines, etc.) pour tenir compte des revenus des familles

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Date de première rédaction le 19 mars 2013.
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