Entretien

« Le discours anti-pauvres se banalise », entretien avec Pierre Saglio, président d’ATD-Quart Monde.

A l’occasion de la Journée mondiale du refus de la misère, Pierre Saglio, président d’ATD-Quart Monde, fait le point sur l’état de la pauvreté en France aujourd’hui. Extrait du site du magazine Alternatives Economiques.

Publié le 15 octobre 2009

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Revenus

Cette journée mondiale du refus de la misère s’inscrit dans un contexte de grave crise économique. Comment voyez-vous la situation des plus démunis ?

Vu du côté des plus pauvres, hélas, on aurait presque envie de dire « la crise, elle ne date pas d’hier », la pauvreté, son cortège de privations, de souffrances et d’humiliations, on la connaît malheureusement depuis longtemps. L’appel aux défenseurs des droits de l’homme de Joseph Wresinski, c’est octobre 1987... Maintenant, nous constatons une stigmatisation de plus en plus forte des plus pauvres, de plus en plus de discriminations et un climat de suspicion généralisée qui s’installe. Le discours anti-pauvres s’est banalisé. Il est d’autant plus nécessaire de s’unir pour exprimer notre refus de la misère.

Quels sont les signes de ce discours ?

Prenons le domaine de l’enfance. Cette année, on célèbre les 20 ans de la Convention internationale des droits de l’enfant. Le comité des droits de l’enfant - qui dépend des Nations Unies - a remis en juillet un texte d’observations au gouvernement français qui s’est empressé de le passer sous silence... Ce texte souligne par exemple sa préoccupation devant la stigmatisation de certains groupes d’enfants, notamment à l’école, dans les médias ou par la police et demande à l’Etat d’y mettre fin. De même, il demande que la politique de protection de l’enfance veille à renforcer les liens des enfants avec leurs parents et s’inquiète du projet de loi de réforme de l’adoption : que va en faire le gouvernement ? De son côté, l’école devient de plus en plus sélective, elle ne remplit plus son rôle vis-à-vis des plus pauvres. Prenons l’exemple de l’assouplissement de la carte scolaire ou la suppression des Réseaux d’aides spécialisées aux enfants en difficulté (Rased) ; c’est une véritable catastrophe. Les familles démunies nous disent : « nous on ne veut pas que nos enfants restent entre eux ». Vous croyez qu’ils vont inscrire leurs enfants dans les établissements les plus cotés ? Que cherche-t-on ? Mettre tous ces gamins dont on ne veut pas dans un coin, à part ?...

Ce n’est pas valable uniquement pour les enfants

Non bien sûr. Tout le monde sait que la densité de la pauvreté augmente, ce qui veut dire que les plus pauvres ont de plus en plus de mal à vivre et que l’écart avec le reste de la population se creuse. Nous devons être nombreux à rappeler que nous voulons mesurer les progrès de notre société aux progrès des plus fragiles. Or, aujourd’hui, le gouvernement le refuse et n’a d’autre ambition que de les protéger à minima. Prenons l’exemple du revenu de solidarité active (RSA). Le passage du Rmi au RSA s’est très bien passé administrativement parlant, c’est vrai. En revanche, les plus démunis n’ont pas gagné un centime de revenu de plus. En outre, dans certains départements, on demande aux travailleurs sociaux de concentrer leurs efforts d’accompagnement sur ceux qui peuvent rejoindre l’emploi, les autres...

L’une des préoccupations majeures des plus démunis, reste le logement. Où en est-on dans ce domaine ?

Contrairement à ce que peuvent dire d’autres associations, mon sentiment c’est que le Droit au logement opposable est une avancée. On a franchi une première étape. On peut faire émerger des dossiers vraiment prioritaires. C’est bien ! Bien sûr, maintenant il faut s’attaquer au plus dur, à l’offre de logement pour que chacun ait un toit, un chez soi, adapté à ses besoins et ses moyens. Le comité des droits de l’enfant dénonce d’ailleurs le manque d’ambition politique du gouvernement pour mettre en œuvre le DALO. Pourtant, il y a urgence : un million de personnes vivent hébergées chez un tiers... Des familles sont chassées de partout, vivent d’hôtel en hôtel, et ça entraîne des dépenses faramineuses pour des situations de vie inacceptables. Au passage, je m’interroge aujourd’hui sur les opérations de démolition-reconstruction : on ne sait pas vraiment si l’on reconstruit autant de logements pour les plus démunis et ces opérations traînent en longueur. Des familles entières vivent dans des cités murées totalement à l’abandon. C’est indigne.

Propos recueillis par Louis Maurin. Extrait du site du magazine Alternatives Économiques.

 Pour en savoir plus :

Le site de la Journée mondiale du refus de la misère.

Sur notre site, le dossier de synthèse sur la pauvreté en France.

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Date de première rédaction le 15 octobre 2009.
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